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Il y a 70 ans, le retour triomphal des Engagés Volontaires du Bataillon du Pacifique.

Il y a 70 ans, le 21 mai 1946, plus de douze mois après la signature de l’armistice mettant un terme à la Seconde Guerre Mondiale en Europe, les survivants Calédoniens engagés volontaires du Bataillon du Pacifique sont de retour en Nouvelle-Calédonie.

On doit au capitaine Félix Broche, d’avoir ravivé la flamme de ce corps expéditionnaire composé de ressortissants des colonies françaises du Grand Océan, au lendemain de la défaite de la France et de la signature de l’armistice avec l’Allemagne en juin 1940 et dont les annonces parviennent outre-mer en même temps que la réception du message d’appel à la résistance d’un général encore inconnu. C’est un mélange de consternation et d’espoir qui assaille la fibre patriotique des citoyens français et sujets de l’Empire colonial en même temps qu’une très forte envie d’ailleurs. Partis le 21 avril 1941 de Tahiti puis le 5 mai de Nouméa, le “BP” gagne le Proche-Orient et l’Egypte où il s’illustrera à Bir Hakeim. Actif participant à ce premier titre de gloire de la France Libre depuis l’Appel du 18 juin 1940, le Bataillon du Pacifique efface du même coup, l’affront du surnom que lui avait infligé un officier supérieur français en Syrie du fait qu’aucun d’entre eux n’avait encore jamais prouvé son courage aux feux: les “guitaristes” savaient aussi manier les armes. Et, ils le prouvent à chaque fois, en débloquant les verrous ennemis sur le chemin de la reconquête de la France et de la libération de l’Europe, notamment lors de la libération de la Tunisie; de l’assaut de la Ligne Gustav; de la marche sur Rome; de la bataille de Monte Cassino, de la prise de Sienne; du débarquement en Provence; de la libération de Hyères et de Toulon; de la remontée du Rhône et de la libération de Ronchamps. Autant de lieux et d’étapes où les combattants tahitiens, néo-hébridais et calédoniens se distinguent par leur courage et leur abnégation au combat.
Directement concerné par un ordre de relève général émis en septembre 1944, le Bataillon du Pacifique est convoyé vers Paris où il reste cantonné jusqu’à la fin du conflit. L’attente du retour s’éternise alors que leur acte d’engagement mentionnait: “engagé volontaire pour la durée de la guerre, plus trois mois.” La fin des hostilités ayant été signée sur le théâtre européen, le 8 mai 1945, les soldats du Bataillon du Pacifique, devenu depuis le 1er juillet 1942, le Bataillon d’Infanterie Mixte du Pacifique, auraient dû être rapatriés dans leurs foyers, au plus tard le 8 août suivant. La désorganisation de l’appareil d’Etat et la difficulté de dégager un navire des routes commerciales prioritaires ou des voies d’approvisionnement d’urgence pour un appareillage vers les antipodes expliquent le non respect de ce délai réglementaire. En septembre 1945, les engagés océaniens sont envoyés à Saintes en Charente où ils résident jusqu’à Noël avant d’être acheminés par train à Saint-Laurent du Var qu’ils quittent en février 1946 pour rejoindre le port de Marseille où ils embarquent le 15 mars à destination de Papeete et Nouméa.
Ils sont au total 2020 passagers à s’entasser sur un navire qui n’offrent que 200 places pour effectuer le trajet du retour tant attendu. Des civils se mêlent également à la troupe, parmi lesquels des étudiants diplômés, des fonctionnaires et des administrateurs métropolitains (magistrat, contrôleur des PTT, contrôleur principal des douanes, Conseiller à la cour d’appel, ingénieur géologue, etc.), des chefs d’entreprise, quatre médecins, cinq enseignants, des institutrices, un pasteur, deux mécaniciens, une coiffeuse, quatre religieuses, un missionnaire, un interprète, neuf gendarmes accompagnés de leur famille. Les cales du navire regorgent aussi de marchandises de quincaillerie, de matériels ménagers et d’épicerie fine qui rempliront les devantures et les étals de la Maison Barrau ou du magasin Monica. Le trajet est ponctué d’une escale plus longue que prévue à Fort-de-France à la Martinique où les passagers patientent deux semaines, le colmatage des petites voies d’eau dans la coque avant de poursuivre par le Canal de Panama. L’arrivée et l’accueil à Tahiti, le 6 mai 1946 sont grandioses. Les festivités auxquelles participent tous les passagers, se déroulent dans la liesse générale durant toute une semaine. Un communiqué précise même: “les autorités et les populations locales des Etablissements Français d’Océanie ont été heureuses d’accueillir les Calédoniens et elles louent leur parfaite tenue et conservent le meilleur souvenir de leur passage.” Puis vint le moment tant attendu, le mardi 21 mai 1946, vers 16h00, en provenance de Port-Vila qu’il a quitté la veille, le “Sagittaire” du commandant Drevet rentre en rade de Nouméa sous les salves des canons et des sirènes des navires et accoste au désormais célèbre “Quai des Volontaires”. Les services du gouverneur ont eu l’excellente idée d’affranchir les soldats des formalités douanières permettant ainsi d’accélérer les retrouvailles. Certains soldats retrouvent leur terre natale et leur famille près de 61 mois après leur départ en mai 1941.
Les Volontaires du Bataillon du Pacifique sont reçus comme des héros. La journée du 21 et la matinée du 22 mai sont fériées: écoles, bureaux, ateliers et chantiers sont fermés. Une semaine festive est programmée: prise d’armes, réception, banquet, messe catholique et cérémonie protestante, feux d’artifices, corso fleuri, défilé de chars, grand bal populaire, course cycliste, matchs de foot-ball et de basket-ball se déroulent dans la joie tandis que les forains ont monté leurs baraques sur la Place Bir Hakeim et que résonnent encore les envolées lyriques des discours officiels, et en particulier l’allocution bouraillaise du capitaine Dubois. Certains temps forts sont même retransmis en direct sur Radio-Nouméa. L’Intérieur n’est pas en reste: La Foa, Bourail, Houaïlou, Voh organisent également des réceptions et des manifestations. La population calédonienne est en pleine communion avec ses soldats.
L’arrivée du “Sagittaire” si elle représente la première liaison maritime entre la France et la Calédonie de l’après-guerre, intervient en pleine campagne électorale, entre le scrutin du 5 mai ayant rejeté le projet constitutionnel et l’élection du député calédonien à la nouvelle assemblée constituante prévue le 2 juin. Malgré l’œuvre libératrice accomplie par tous les soldats calédoniens, le corps électoral demeure figé dans les oripeaux du colonialisme. Un communiqué signé du gouverneur Jacques Tallec en date du 7 mai précise les deux catégories d’électeurs mobilisables pour le scrutin, “les citoyens français et citoyennes” et “les indigènes calédoniens des deux sexes non-citoyens”, avant d’ajouter que la loi Lamine Gueye étendant la citoyenneté française à l’ensemble des ressortissants de l’Outre-mer français ne sera pas retenue pour cette élection, motivée en cela par une révision en cours des listes électorales des non-citoyens.
Le dimanche 2 juin 1946, douze jours après le grand retour des Engagés Volontaires, un autre bataillon se fait jour, celui des Indigènes Calédoniens exclus du droit de vote dont le combat pour l’égalité politique ne fait que commencer...

Olivier Houdan

Texte publié dans l'hebdomadaire "Les Infos" en juin 2006.

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