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Intervention au Festival International de Geographie de Saint-Dié-des-Vosges (octobre 2018).

“Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?” C'est la question à laquelle les populations intéressées de Nouvelle-Calédonie, rassemblées dans un corps électoral spécial auront à répondre par “Oui” ou par “Non” lors d’une consultation qui se déroulera dans moins d'un mois.

 

         Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, bonjour,

         La Nouvelle-Calédonie sera-t-elle indépendante au soir du 4 novembre prochain ?

         Voilà l'horizon tant redouté qui s'avance maintenant à grands pas et qui vient à notre contact. Alors que nous marchions vers lui depuis toujours sans nous en rendre vraiment compte, c'est lui désormais qui se rapproche. Face à son arrivée, nous avons comme inverser la perception de cette échéance ; nous avons ralenti la cadence de nos pas jusqu'à stopper notre marche. Toutes celles et ceux qui forment le corps civique et politique calédonien sont invitées à se prononcer sur leur destin ; sur la nature des liens entre le “Caillou” et la France; sur l'avenir d'un territoire et de ses populations ; et sur toutes les conséquences qui en découleront.

         La France demain sera-t-elle amputée d'une partie de son territoire national ? La réponse est : “nous ne savons pas”. Enfin plus exactement, et sauf énorme surprise, la réponse est connue mais nous n'avons pas envie de vous répondre parce que en définitive, nous n'avons pas envie de choisir. L’injonction démocratique pour l’électeur inscrit de faire un choix ferme et définitif n'est-il pas de nature à remettre en cause la concorde politique acquise depuis trente ans ? De remettre en question la stabilité sociale et économique bâtie depuis l'armistice de 1988 ?

         Pour chaque votant calédonien qui ira accomplir son devoir civique le dimanche 4 novembre, c'est de cela aussi, dont il s'agit. Manifestement, le jour le plus redouté n'est pas le 4 novembre ! Mais bien celui du lendemain.

         Monsieur François Blanchetière, un de mes maîtres de l'université Marc Bloch de Strasbourg, avait pour habitude de dire à ses étudiants : “Tout dépend de l'endroit où l'on se place par rapport à l'idée que l'on s'en fait”. Ainsi, dans la perspective de participer avec beaucoup d'humilité à l'intelligibilité du moment présent, permettez-moi de vous imposer la proposition suivante : celle de la lecture de l'échéance à venir en fonction de l'endroit où les uns se tiennent et ou les autres se placent. Sans avoir au préalable, remonter le cours du temps pour tenter de jeter un regard sur toutes ces histoires qui ont précédé le 4 novembre.

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         La Nouvelle-Calédonie est une anomalie. Il s’agit d’une île très particulière. Non volcanique, elle est un fragment de la marge orientale du continent de Gondwana dont l’histoire géologique a été particulièrement mouvementée pendant l’ère tertiaire, après sa séparation de l’Australie. En effet, la marge gondwanienne continentale, qui va devenir l’actuelle Nouvelle-Calédonie, a connu une totale submersion marine pendant le Paléocène, puis s’est glissée sous le plancher sous-marin au cours d’un processus baptisé obduction par les spécialistes de la tectonique des plaques. Son histoire se poursuit par une surrection au cours du Pliocène, qui fait émerger une île dont le sol était constitué de larges affleurements de roches ultrabasiques issues du plancher sous-marin et particulièrement riches en divers métaux (nickel, cobalt, manganèse, chrome, fer, antimoine, scandium). Une richesse minérale qui fera en grande partie son exception. Si d'autres faisaient la politique de leur géographie, en Nouvelle-Calédonie, on fait la politique de sa géologie. Le découpage territorial des provinces créé en 1989 et issu du nouveau statut né de Matignon a-t-il seulement obéit à des considérations démographique, électorale ou politique ?

         Isolée pendant des millions d'années au milieu de l'océan, la Nouvelle-Calédonie a vu se développer une faune mais surtout une flore unique dont le taux d'endémicité de certaines espèces place la Nouvelle-Calédonie, compte-tenu de sa relative faible superficie, parmi les 5 points chauds de la biodiversité mondiale. Et ce, tant sur le plancher des vaches que sur les fonds marins de son immense lagon. Ce sont ces caractères “unique” et “exceptionnel” qui ont amené des associations environnementales locales a demandé le classement des lagons et des systèmes récifaux associés, au patrimoine mondial de l'Humanité. Décision rendue effective en juillet 2008.

         Cette fierté de l'île pour son lagon ne doit pas cependant, masquer les nombreuses menaces que fait craindre le quatuor infernal diagnostiqué par Jared Diamond sous d'autres latitudes. L'exploitation anthropique des ressources vivantes ; la destruction et la fragmentation des habitats ; l'introduction d'espèces exogènes et la destruction du couvert végétal par les feux de brousse sont à l'œuvre, une œuvre destructrice et de manière plus conséquente, depuis ces 60 dernières années : en 1956 déjà, le commandant Cousteau en escale à Nouméa ne fustigeait-il pas la situation de “cette île dont les sols finissent à la mer.” En 1994, 20.000 hectares de végétation ont été brûlées en Nouvelle-Calédonie contre 70.000 en France, pays 30 fois plus vaste !

         Depuis l'acte unilatéral de prise de possession par la France de l'empereur Napoléon III, le 24 septembre 1853, la Nouvelle-Calédonie est devenue une colonie française. Une des dernières terres d'une telle superficie à rentrer dans le vaste champ ouvert par la conquête européenne du monde qui s'achève dans cette Océanie antipodique.

         Hormis les raisons géostratégique, politique ou militaire bien comprises, il s'avère que la Nouvelle-Calédonie au climat plus clément et à la faune beaucoup moins dangereuse que la Guyane trop meurtrière pour les bagnards, devient dix ans après la promulgation de la loi sur la transportation, le nouveau cadre de la rédemption pénale française. La Nouvelle-Calédonie, cette “belle endormie” que décrivait le capitaine de frégate Lejeune en 1860 va sortir de son long sommeil.

         En 1864, presque concomitamment avec la découverte du nickel par l'ingénieur Jules Garnier, un nouveau minerai dont on entrevoit encore à peine le potentiel industriel, débarque à “La Nouvelle” un premier contingent de condamnés aux travaux forcés. En 75 voyages qui s'échelonnent jusqu'en 1897, plus de 30.000 condamnés (loi du 30 mai 1854), relégués récidivistes (loi du 27 mai 1885) ou déportés (loi du 8 juin 1850) politiques algériens et Communards sont transportés aux antipodes pour y purger leur peine. Par la masse laborieuse qu'ils constituent et le volume de travail qu'ils accomplissent, ils contribuent de manière décisive au développement de la colonie en y édifiant toutes les infrastructures primaires répondant aux besoins de l'époque.

         A cette population, dont une très grande partie regagnera la métropole à la faveur de plusieurs lois d'amnistie, la propagande coloniale encourage l'émigration volontaire de métropolitains afin de mettre en valeur cette petite “France Australe”. Une mise en valeur essentiellement rurale qui passe par des essais agricoles servis par des colons et accompagnés souvent de leur main-d’œuvre historique traditionnelle ou mise à disposition par l'Administration quand elle n'est pas recruté directement dans d'autres colonies: la canne à sucre avec les entrepreneurs réunionnais et leurs coolies Malabars (1862); le café avec les colons “Feillet” et leurs engagés javanais (1894); le coton avec les colons “Nordistes” venus des Hauts-de-France actuel (1925). Globalement ces expériences culturales furent des échecs tandis que l'enracinement de ces diverses populations dans cette colonie devenue “de peuplement”, peut être entendue comme une relative réussite.

         Le dernier quart du XIXème siècle voit également le début de l'exploitation du nickel et d'autres minerais (or, cuivre, chrome, cobalt) et les premiers balbutiements d'une industrie métallurgique. Les besoins en travailleurs sont importants et les mineurs et autres prospecteurs recrutent à tour de bras des indigènes kanak, des libérés du Bagne puis une main-d’œuvre immigrée en provenance des Nouvelles-Hébrides, de Java, du Tonkin ou du Japon (1892). De 1500 en 1911, les populations d'origine asiatique culminent à 11000 personnes en 1941 pour une population totale de 61.000 individus soit 18%. Matériellement et techniquement, l'écrémage des gisements les plus riches, localisés sur les affleurements des crêtes et le sommet des montagnes accessibles, commencent. C'est le temps où pendant près de 15 ans, la production mondiale de Nickel se confond avec la seule production calédonienne. Indépendamment du régime cyclique de l'activité économique liée au nickel, mais plus assurément lié à l'absence de droits et de normes contraignants, des fortunes sont constituées par les plus audacieux des hommes d'affaires. Par le biais de grandes maisons de commerce françaises, le capitalisme fait souche. L'économie de comptoir via son système d'exploitation des ressources et des hommes se généralise.

         La somme de ces bouleversements depuis la découverte en 1774 de James Cook par les populations indigènes du Nord-Est de la Grande-Terre, entraînent, comme ce fût le cas sur de nombreuses autres univers insulaires du Pacifique, des chocs épidémiologiques, d'abord, des effondrements démographiques ensuite et des traumatismes culturels dont on mesure encore mal aujourd'hui, l'ampleur et la profondeur.  L'archéologie a largement démontré l'ébranlement des sociétés kanak et leurs modes de fonctionnement et d'organisation suite “à ces collisions de civilisations”. La colonisation a eu pour effets immédiats et induits, comme l'a justement rappelé le préambule de l'Accord de Nouméa de 1998 : des spoliations foncières, des déplacements considérables de population ; des réductions voire des destructions de moyens de subsistance ; la perte de lieux de mémoire ; la négation des autorités d'origine ; le pillage du patrimoine artistique; des limitations aux libertés publiques; une absence totale de droits politiques. La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu'elle a privé de son identité. Remettant en cause une légitimité de près de 3000 ans de présence continue.

         Arrivées à partir de 1200 à 1100 avant notre ère, les populations austronésiennes qui s'installent et occupent progressivement la Nouvelle-Calédonie développent par la succession de plus de 120 générations d'habitants, un système horticole particulièrement élaboré. La culture de l'igname nécessite des aménagements et une préparation du sol qui implique une main-d’œuvre nombreuse, organisée et hiérarchisée. Dans la région de Bourail, les tarodières à flancs de collines obéissent aux mêmes obligations sociales et à des impératifs techniques hors du commun. A titre d'exemple, on a compté dans certaines zones jusqu'à 80 gradins dont la mise en eau permanente devait être assurée par plusieurs captages voire le creusement de canaux à ciel ouvert sur plusieurs kilomètres. Là encore, l'entretien des casiers, la mise en terre des tubercules et leur récolte imposaient à des familles et à des clans, des rôles et des fonctions précises dont la continuité garantissait la subsistance de tous.

         Honorons maintenant Blanchetière !

Vu de New-York.

         Traditionnellement très regardante dans les différents processus démocratiques en cours dans le monde, tant en situation de rétablissement de l’État de droit que du suivi des phases d'émancipation politique des territoires inscrits sur la liste des pays à décoloniser, l’ONU s'est saisie à plusieurs reprises du dossier calédonien à la demande du FLNKS ou en questionnement à la puissance administrante. Ses délégués ont participé aux commissions électorales dans les 33 communes calédoniennes afin de constituer la LESC : la Liste Électorale Spéciale de Consultation. Outre un contingent de 250 magistrats venus spécialement de France pour superviser le scrutin et contrôler son bon déroulement, des représentant de l'ONU devraient également venir en tant qu'observateur.

Vu de Paris et de l'Hexagone.

         Depuis le profond et durable traumatisme de la triple tragédie d’ Ouvéa, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1988 qui avait vu l’affrontement entre Jacques Chirac, Premier ministre de la première période de cohabitation de la Vème République et François Mitterrand, candidat à sa succession, la représentation nationale et les exécutifs ont à l’égard de la Nouvelle-Calédonie, sciemment choisit le modus vivendi que le casus belli qui avait prévalu entre 1982 et 1988, entre les premières revendications de terre et les accords de Matignon-Oudinot. A cette époque, et au même titre que la loi sur l’école ou sur la presse, la situation calédonienne était devenue un enjeu de politique nationale dans la perspective d’un renversement de majorité aux législatives de mars 1986 et d’une victoire à la présidentielle de mai 1988. Depuis Ouvéa donc et ses 29 morts, aucun gouvernement, aucune majorité, aucun exécutif n’a dérogé à cette règle non-écrite mais bien comprise par tous : placée sur la table de chevet de la République où elle résume à elle-seule tout l’éventail des enjeux actuels de l’outre-mer français mais aussi de l’histoire de la colonisation, la Nouvelle-Calédonie est et demeure un cas particulier.

         Lors de son séjour en Nouvelle-Calédonie au mois de mai dernier, le président Macron en rassembleur des mémoires et de l'histoire a déclaré : “(…) ce n'est pas au chef de l’État de prendre position sur une question qui est posée aux seuls Calédoniens mais la France ne serait pas la même sans la Nouvelle-Calédonie”.

Vu de Canberra et de Wellington.

         Les relations diplomatiques entre l'Australie, la Nouvelle-Zélande et la France ont été marquées au cours des années 80 et 90 par trois sujets de tensions : la situation politique en Nouvelle-Calédonie, l'attentat du Rainbow Warrior dans le port d'Auckland et les essais nucléaires. Avec les accords de Matignon, Oudinot et Nouméa, la France a pu redonner une nouvelle impulsion à son rôle dans l'environnement régional. Le nouvel axe indopacifique proposé par le président Macron lors de sa visite en Australie et en Nouvelle-Calédonie en mai dernier envisage des partenariats approfondis en matière de sécurité et de coopération militaire. Cette ligne de force inédite qui passe par New-Delhi et Canberra et englobe Nouméa et Papeete, retentit comme une réponse à l'hégémonie chinoise dont le collier de perles ne s'est jamais autant déployé vers le Sud, avec les investissements de Pékin dans l'arc mélanésien et en Polynésie centrale. Une indépendance de la Nouvelle-Calédonie pourrait aiguiser les appétits chinois vis-à-vis du nickel et d’étendre encore plus sa sphère d’influence. La poursuite de la présence française dans la zone est ressentie comme sécurisante et comme un gage de stabilité.

Du point de vue indépendantiste

         Le processus de l’accord de Nouméa débuté il y a 20 ans et qui prévoyait une consultation sur l’avenir institutionnel doit être mené à son terme. Maîtres du Temps long, les Kanak qui occupent majoritairement tout l’espace entre le cœur et les marges de la revendication d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie depuis maintenant près de 50 ans souhaitent clôturer la séquence politique inaugurée par l’accord de Matignon, validée par l’accord Oudinot, relancée par l’accord de Bercy et renouvelée par l’accord de Nouméa.

         Depuis 30 ans, la Nouvelle-Calédonie est sur la voie de sa deuxième décolonisation. Oui, sa deuxième ! La première ayant été avortée à la suite de la reprise en mains des territoires français du Pacifique, Nouvelle-Calédonie et Polynésie Française, par le pouvoir gaullien. Les ressources minérales calédoniennes et en particulier le nickel avaient été mises en exergue dès 1955 dans le rapport du sénateur Coudé du Foresto qui concluait par leur maintien dans le giron strictement national. En Polynésie française, l'installation du Centre d'Expérimentation du Pacifique autorisait toutes les audaces et les coups les plus tordus pour l'ancrage de ce territoire dans l'ensemble français. A Nouméa, comme à Papeete, les leaders autonomistes, Maurice Lenormand et Pouvanaa a Oopa furent écartés du pouvoir et leurs partis politiques respectifs très largement combattus. Quand l'assemblée territoriale de la Nouvelle-Calédonie refusa une énième exonération à la puissante Société Le Nickel, le statut d'autonomie interne et l'expérience de la loi-cadre Defferre qui avait pourtant mis en place un exécutif local avec des ministres aux compétences étendues dont le géographe Jean Leborgne à l'enseignement, fut vidé progressivement de sa substance par le gouvernement central.

         Face au refus de décoloniser par l'autonomie, les dirigeants kanak vont opter au cours des années 70 pour l'indépendance. Des groupuscules comme les “Foulards rouges”, lient la revendication culturelle et identitaire à la lutte politique. Celle-ci prend une autre envergure lorsqu'en 1984, le FLNKS de Jean-Marie Tjibaou décide le boycott actif des élections territoriales dont le geste d’Éloi Machoro brisant une urne électorale devient le symbole. Ce scrutin prévoyait la validation par les urnes du statut Lemoine. Il est rejeté par les Indépendantistes comme par les anti-indépendantistes du RPCR de Jacques Lafleur. Il s'ensuit une confrontation des légitimités, celle du peuple originel et celle du peuplement original de la Nouvelle-Calédonie. Cette période improprement appelé “Les Événements” débute en 1981 pour s'achever en 1989. Au total 73 victimes, membres des forces de l'ordre et militants des deux bords, sont à déplorer (26000 † dans l'hexagone), 26 veuves, 75 orphelins, 1400 réfugiés (400.000 déplacés dans l'Hexagone), des dégâts matériels par milliers, des sabotages, des séquestrations, une quinzaine d'attentats à l'explosif, la proclamation de l'état d'urgence, etc. Avec le recul toujours nécessaire à l'analyse sereine des faits, il convient aujourd'hui de parler de cette période comme d’une véritable guerre à laquelle le qualificatif de « civile » serait le plus proche de la réalité vécue.

Du point de vue non-indépendantiste.

         La Nouvelle-Calédonie est française depuis son rattachement à l’empire de Napoléon III, en 1853. Elle doit coûte que coûte le demeurer et ne saurait sombrer dans l’aventure que provoquerait une rupture du lien indéfectible entre elle et la mère patrie. Les tenants de cet algorithme politico-institutionnel confèrent au crédo du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, comme d’autres avant eux, pour l’Algérie, une synthèse d’opérations non-ambigües permettant la poursuite du statu quo.

Vu depuis Bourail où j'enseigne.

         Le cadre géographique se resserre. Nous sommes maintenant sur le territoire d'une commune de la côte Ouest de la Grande Terre, l'île principale de l'archipel néo-calédonien. En 1867, la mission exploratoire diligentée par le Gouverneur en vue de l'implantation d'un pénitencier agricole constate déjà le fort potentiel cultural de ces vastes plaines irriguées par de puissantes rivières et protégées des embruns du large par deux chaînes de montagnes. Décor décisif. La création d'un bagne est prise. Elle s'accompagne d'une pacification qui repousse les populations indigènes vers les montagnes laissant les meilleures terres à l'administration pénitentiaire. C'est dans ce contexte que le littoral de la commune sera le théâtre du dernier épisode de la révolte du chef Ataï qui avait déclaré aux autorités en montrant du doigt un tas de terre et un tas de cailloux : “Voilà ce que nous avions, voilà ce que vous nous laissez !”

         Aujourd'hui la communauté humaine du bourg est composée de 4 groupes culturels d'égale importance numérique :

   - Les kanak, descendants du peuple premier ;

   - Les européens issus de la colonisation pénale puis libre ;

- Les arabes condamnés au bagne par les cours d'assises d'Algérie à la déportation simple pour faits politiques et enfin,

- Les métropolitains, ayant fait souche au moment du boom du Nickel à la fin des années 60-début 70, ou récemment installés depuis une vingtaine d’années.

       Ici, la vie s’écoule paisiblement au rythme des impératifs de l’élevage et de l’agriculture mais aussi des rendez-vous coutumiers kanak (naissance, mariage, décès et lever de deuil), des fêtes religieuses (communion, confirmation) ou des fêtes communales (mois du patrimoine, foire agricole annuelle, concerts de musique et évènements sportifs). Là-bas, la consultation n’est pas vécue comme historique et n’est pas ressentie comme un enjeu politique majeur. La crainte réside essentiellement dans la menace qu’elle fait peser sur les équilibres trentenaires. Ceux-là même, issus des différents accords politiques depuis 1988, qui balisent et entretiennent la communauté de destin et qui ne pourrait être compris et envisagé comme le destin d’une seule communauté. A Bourail, comme ailleurs, le « vivre ensemble », le « travailler ensemble », le « faire ensemble » ne sont plus des concepts mais des réalités. Des réalités vivantes. Et depuis longtemps. Si elles sont imparfaites ou partiellement abouties dans leurs desseins, elles restent perfectibles, ce qui en soi, restent aussi un moteur d’espoir, celui de voir un jour se constituer avec le peuple originel et les éléments du peuplement original de la Nouvelle-Calédonie, une alliance effective et objective dans un avenir commun.

            Mesdames, Messieurs, si nous voulons organiser quelques échanges, il est alors temps de conclure.

         La violence est consubstantielle de la colonisation. Partout en tous lieux et en tous moments, la violence dans ses origines comme dans ses répercussions a participé, paradoxe oublié ou tenu au silence, à la construction de la Nouvelle-Calédonie. Est-ce à dire, pour continuer la réflexion, que la violence sera consubstantielle de la décolonisation et de son corollaire l'émancipation politique par son indépendance ?

         Alors comment entendre cette phrase sans lire en elle, la violence, la peur, la rupture, la catastrophe, le chaos avancés par les non-indépendantistes pour mieux réduire la portée du projet de ceux d'en face : “Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? Tandis que la même phrase fait naître un sentiment opposé chez les indépendantistes, celui de voir, après 40 ans de mobilisations, de luttes et de revendications, le couronnement de leur principal espoir : la création d'un Etat souverain.

         La réponse est peut-être dans ces photographies d'un autre âge : celle de la conférence de Genève sur l'indépendance de l'Indochine ou celle de la conférence d' Évian sur l'indépendance de l'Algérie. A la table des discussions, seuls les représentants du peuple colonisé négocient avec la puissance de tutelle, avec l’État colonisateur.

         En Nouvelle-Calédonie, en 1982 avec le gouvernement collégial dirigé par Jean-Marie Tjibaou, en 1983 à Nainville-les-Roches, en 1988 à Matignon, en 1998 à Nouméa et lors de tous les comités de suivi puis les comités des signataires, les représentants du peuple colonisé ont toujours réservé une place autour de la table, aux représentants des autres groupes culturels présents durablement en Nouvelle-Calédonie.

         Alors la réponse tant attendue est là sur cette couverture d'un magazine publié en 1972.

         La réponse est dans le partage.

         Jusque dans le partage de la souveraineté?

 

         Merci de votre attention.

 

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