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Cyprien Braïno, volontaire des Forces Françaises Libres, Josette et son père Maurice Lenormand, à la caserne de Latour-Maubourg à Paris en 1945 ou 1946 (Archives personnelles Maurice Lenormand).

Cyprien Braïno, volontaire des Forces Françaises Libres, Josette et son père Maurice Lenormand, à la caserne de Latour-Maubourg à Paris en 1945 ou 1946 (Archives personnelles Maurice Lenormand).

Il y a 60 ans, au mois de novembre 1945, les tirailleurs indigènes du Bataillon du Pacifique, combattants volontaires des Forces Françaises Libres et les marins autochtones des Forces Navales Françaises Libres font parvenir au Ministre de la France d’Outre-Mer, un exposé de leurs vœux et de leurs doléances. Dans le contexte libérateur de l’époque, cette revendication des indigènes de Nouvelle-Calédonie résonne avec force et détermination comme le plat de la main qui frappe à la porte d’entrée de la Cité encore interdite. A l’image de nombreux autres peuples sous domination coloniale, les Indigènes calédoniens aspirent, à l’orée d’une ère nouvelle, à une amélioration inconditionnelle de leur situation dans leur patrie-mère compte tenu de leur engagement et du sang versé pour la libération de la France, qu’ils considèrent tous comme leur mère-patrie. Cette revendication prend d’autant plus de sens qu’elle intervient un mois après l’élection le 21 octobre 1945 de l’Assemblée nationale constituante chargée de rédiger la nouvelle constitution et qu’elle rejoint dans l’esprit, le nouvel idéal commun qu’élaborent les Nations Unies et qu’elle intervient six mois après l’adoption de la Charte de San Francisco. Stationnées significativement à la caserne de La-Tour-Maubourg, à proximité immédiate du triangle institutionnel parisien, au cœur de la capitale, les troupes du Bataillon du Pacifique attendent depuis la fin des hostilités sur le sol français, le navire qui pourrait les rapatrier vers leur univers océanien. Rapatriement qui n’interviendra qu’au début 1946. Durant ce laps de temps, les ressortissants calédoniens reçoivent la visite de nombreux compatriotes installés en France ou de passage à Paris, parmi lesquels un jeune mâconnais bardé de diplômes, marié à une mélanésienne de Lifou et qui a vécu toute la période de l’occupation allemande dans la capitale. Il a la confiance d’un très grand nombre de ces hommes qui lui ont demandé de rédiger ce texte. Il s’appelle Maurice Lenormand. Il effectuera avec sa famille, le voyage du retour sur Le Sagittaire avec les glorieux combattants du Pacifique. 

"Monsieur le Ministre, Les tirailleurs et marins indigènes de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances, tous engagés volontaires pour venir au secours de la France et la libérer de l’oppression, se permettent de profiter de leur séjour à Paris pour présenter à Votre Excellence leurs vœux et leurs espoirs concernant l’amélioration de leur condition sociale, économique, culturelle et politique et l’avenir de leur communauté ethnique dans le cadre d’un statut rénové de la Colonie. Les tirailleurs calédoniens et loyaltiens, combattants de Bir-Hakeim, de Tunisie, d’Italie, d’Alsace, les marins calédoniens et loyaltiens des débarquements du Midi, de Grèce, d’Italie, des convois d’Afrique, de Russie, ne demandent rien pour eux-mêmes mais ils pensent avoir un grand devoir à remplir et ils estiment que le sacrifice d’un grand nombre d’entre eux et le combat volontaire de quatre ans qu’ils ont mené derrière le général de Gaulle, les autorisent et les qualifient pour être les porte-paroles et les interprètes de tous leurs frères indigènes de la Nouvelle-Calédonie et des Dépendances dont la voix n’a jusqu’ici jamais pu se faire entendre auprès du Gouvernement de la France. Ils pensent que leurs actes ont prouvé à la France, d’une façon incontestable, la fidélité et l’amour de la population indigène de la Nouvelle-Calédonie et des Îles Loyalty et qu’ayant ainsi racheté les fautes qu’ont pu commettre leurs ancêtres, ils ont mérité d’être considérés comme des vrais fils de la France et d’avoir gagné le droit à la sollicitude et à l’attention de son Gouvernement. Membres de l’Empire français résistant et fiers d’avoir participé activement à la libération de la Mère-Patrie pour laquelle un grand nombre sont tombés sans l’avoir jamais vue et sans avoir la joie de toucher son sol, les indigènes néo-calédoniens et loyaltiens espèrent qu’à leur tour, ils pourront être libérés d’un régime périmé, trop souvent oppressif et injuste, et qui tend à les maintenir dans une condition inférieure moralement, intellectuellement et économiquement. C’est pourquoi, les soldats et marins indigènes de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances se permettent très humblement, comme interprètes de leurs frères, d’attirer l’attention de Votre Excellence et du Gouvernement français sur les principaux aspects de leur condition passée et présente et de lui présenter très respectueusement leurs vœux et leurs désirs pour procéder à l’amélioration de leur sort matériel et rénover leur statut social et administratif, afin de conserver, dans le cadre des idéaux et de la mission colonisatrice de la France, la vieille société indigène à laquelle ils appartiennent et en dehors de laquelle ils ne pourraient être que des déracinés dans leur propre pays. Dans l’immense espoir que vous voudrez bien accorder votre très bienveillante attention à ces vœux et à ces désirs, les tirailleurs et marins engagés volontaires de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances vous prient d’exprimer au Gouvernement de la France et à son chef le général de Gaulle, l’assurance de leur indéfectible attachement, de leur fidélité et de leur fierté d’être Français. Ils vous prient d’agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de leurs sentiments de très profond respect et de leur entier dévouement."

Texte publié dans l'Hebdomadaire Les Infos en novembre 2005.

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