Louis, Léopold Nédoa DJIET
Le pin colonnaire est bien là. Droit, fier et magnifique.
Il est planté sur un terre-plein recouvert d’un tapis de buffalo, fraîchement coupé. Il annonce la présence d’une case toute simple située un peu à l’écart de la tribu de Borégahou sur la route transversale qui conduit à Bouirou. Le ciel est pur. L’atmosphère est sereine. C’est ici que vivait Louis, Léopold, Nédoa Djiet.
Façonné par la Nature et par sa Terre, ce colosse tranquille, né en 1905, à la tribu de Pothé à Bourail, n’a jamais laissé personne indifférent tant la force de son esprit et l’étendue de son savoir étaient proportionnelles à sa grandeur d’âme dont la profondeur lui avait peut-être été transmise par son père Louis et sa mère Antoinette, née Lénon.
On ne vit rarement à un endroit par hasard. La Providence établit souvent un lien secret, invisible qui nous attache à notre lieu de vie. Nédoa dans la langue Arho pourrait se traduire par « l’endroit où germe les jeunes pousses. » L’image incarnée d’une pépinière où la jeunesse s’élèverait à l’ombre d’une présence attentive et d’une main protectrice, s’impose d’elle-même. Toute la vie de Djiet pourrait se résumer ainsi : préserver la fertilité d’un terroir en le travaillant régulièrement afin que la jeune pousse y trouve tout ce dont elle aura besoin pour grandir physiquement et s’élever moralement.
Il n’est pas étonnant dès lors que Nédoa Djiet est consacré sa vie à son pays, à sa terre. Terre rehaussée pour le tertre de la case. Terre labourée pour l’igname du chef. Terre immergée de la tarodière. Terre nourricière des vivants et litière des ancêtres. La destinée du vieux Djiet ne pouvait désormais que s’écrire à l’encre de l’engagement au service de l’Autre ; du dévouement pour ceux et celles qui peuplent sa terre, notre terre.
Engagé dans l’Education, d’abord, lui le garçon de Borégahou descendu à Azareu pour suivre l’enseignement catholique, du temps où la trique de goyavier des curés avait aussi une valeur pédagogique sans remettre obligatoirement en cause les préceptes chrétiens contenus dans l’amour du prochain, inculqué aux pieds du crucifix. Du temps où l’enseignement laissait une large place à l’apprentissage des gestes de la vie quotidienne et à l’expression du bon sens paysan. Du temps où tous les enfants des tribus scolarisés à la Mission récitaient en chœur la litanie de tous les prêtres qui, depuis 1888, avaient succédés au Révérend Père Chaboissier. Formé par les Missionnaires, Nédoa Djiet devient tout naturellement moniteur de l’enseignement catholique. Il officie vingt ans durant à Azareu, à Maré et à Pouébo. La disparition de son père, le contraint à revenir sur ses pas et à s’occuper des siens. Entre temps, il prend pour épouse, le 2 août 1943, Clémence Bruireu dont l’union est demeurée sans postérité. Deux enfants leurs seront donnés. Louis, décédé à 19 ans et Eléonore Bouquet, fille du grand chef Bouquet.
Engagé dans la religion, ensuite. Moulé dans l’architecture de la pastorale, Djiet est toujours resté un croyant fervent. Lecteur régulier du Nouveau Testament, il disposait à l’entrée de son habitation d’un petit autel, véritable sanctuaire marial encadré par deux branches de corail et entouré d’une multitude de petits coquillages qui dissimulait une petite tombe toute blanche où reposait son seul fils adoptif, meurt très jeune. Il restait cependant vigilant vis-à-vis du dogme catholique, prenant garde à ce qu’il ne vienne supplanter le socle coutumier sur lequel était solidement bâti la société autochtone traditionnelle. A plusieurs reprises, il s’éleva contre les brimades du Père Laval à destination du grand chef Bouquet.
Engagé dans la Coutume également. De par sa filiation, Nédoa Djiet est l’héritier de l’histoire d’un clan dont le nom signifie : « le petit sentier tracé et entretenu qui conduit à la grande allée centrale ». Son vécu, son expérience, sa très grande connaissance des traditions coutumières sur lesquelles il est intarissable l’amène, toujours avec compréhension, générosité et tolérance à répondre à de très nombreuses sollicitations. Il reste cependant lucide sur le malaise voire le mal-être de la société mélanésienne en dénonçant la faillite de certains de ses aspects. Grand ami et fidèle soutien du grand chef Vincent Bouquet, Djiet fait partie des notables mélanésiens de la grande région de Bourail dont les alliances s’étendent bien au-delà des crêtes du Mé Ixaburu et du Mé Ci Bweré. Ardent promoteur de l’amélioration de la condition mélanésienne, grand défenseur des vertus cardinales de la Coutume : respect, travail et discipline, et promoteur de la stricte application de l’Egalité et du légalisme républicain, il n’hésite pas à s’engager dans la vie politique calédonienne et bouraillaise.
Louis Léopold Djiet participe à la genèse du Mouvement d’Union Calédonienne dès 1953 au moment du renouvellement du Conseil Général et s’engage dans les élections municipales d’octobre 1954 en figurant sur la liste menée par M. Jouin. A sa création officielle en 1956, il est délégué du district de Bourail et anime la section de Pothé avec ses illustres compagnons tels Albert Bouquet, Albert Paul, Alfred Boro auxquels se joignent Zanino Modeste, Saturnin Moenon et Etienne Boanemoin. Tous membres de cette génération du possible pour laquelle la Libération de la France avait pour seul écho audible et action tangible, la fin de l’Indigénat en Nouvelle-Calédonie. Il appartient pour la postérité à cette génération peuplée de fortes personnalités qui voyait dans l’action politique, parallèlement aux progrès social et civique, le moyen de revigorer aussi l’autorité coutumière. Elu au conseil municipal de sa commune natale entre 1961 et 1971, il n’a de cesse en citoyen éclairé soucieux du bien matériel de ses compatriotes et de ses confrères, d’apporter son humble contribution à l’édification d’une nouvelle société calédonienne. Se battant pour l’obtention d’une ligne téléphonique ou pour une adduction d’eau.
L’homme-colonnaire est tombé le 1er décembre 1986, à l’âge de 81 ans.
La trouée qu’il a ouverte dans le ciel devrait favoriser la croissance des jeunes pousses.
Il repose dans le petit cimetière de Borégahou.
Il était titulaire de la médaille de l’Ordre national du Mérite.
Le 3 avril 2009, sur proposition de la mairie de Bourail et en accord avec les institutions et les services compétents, le collège public de Bourail est dénommé "Collège Louis Léopold Djiet" près de 25 ans après son ouverture en présence du président de la province Sud, du vice-recteur, du maire, des autorités coutumières, de la communauté scolaire, des familles et des proches de l’ « homme de sagesse de culture et de savoir ».
Quelques déclarations et extraits d’allocutions du vieux Djiet
Sur la prononciation de son nom : « Djiet, comme les avions ! » avait-il l’habitude de dire en recevant ses hôtes.
Sur la Coutume : « Autrefois, nous avions la Coutume, qui nous permettait de vivre dans l’esprit du clan, de la tribu. C’était une organisation communautaire parfaite, avec sa discipline et ses lois qui renforçait l’autorité des chefs coutumiers et réglait les grands évènements de la vie : le mariage, la naissance, la mort. »
Sur le malaise de la jeunesse et son désoeuvrement : « Je les sens déchirés entre deux modes d’existence : le vôtre et le nôtre. Mais ils ne veulent pas choisir, et ils sont devenus par la force des choses mi canaques, mi blancs. Le malheur, c’est qu’ainsi ils ne sont ni l’un, ni l’autre. (…) Vous avez vu dans les tribus tous ces jeunes désoeuvrés. Pourtant ce n’est pas le travail qui manque ici ! Mais tout va à l’abandon : les caféières, les tarodières, les champs d’ignames, le bétail. Bientôt, il n’y aura même plus de chevaux ! »
Sur l’alcool : « Si l’on veut lutter efficacement contre ce fléau, il faut d’abord remonter le courant en restaurant la coutume et l’autorité de ses chefs mais surtout en donnant aux jeunes une raison d’être. (…) C’est l’alcool qui détruit la race canaque. Il faut qu’ils s’enfoncent bien ça dans la tête. »
Sur le patrimoine minier : "La Nouvelle-Calédonie c'est comme une banane mûre que les oiseaux viennent picorer. Ils commencent par faire un trou dans la peau pour pouvoir entrer, puis ils mangent tout à l'intérieur. Si on les laisse faire, il ne reste plus rien dedans. C'est ce qu'ils font avec notre nickel et bientôt il ne restera plus rien pour nos enfants." (cité par L-J Barbançon, in « La Terre du Lézard », 1995, Léopold Djiet y sert de modèle au personnage du « Vieux »)
Au cours de la réception d’un ministre des DOM-TOM dans l’ancienne mairie de Bourail, le maire de la commune Taïeb Aifa ayant offert au nom de la municipalité une reproduction d’une hache ostensoir, Léopold Djiet apporta son témoignage au ministre en lui déclarant : "La Calédonie, c'est comme un beau jardin avec plein de fleurs et ces fleurs sont de toutes les couleurs. Mais il y a aussi des mauvaises herbes qui dépassent et si on ne les coupe pas, elles vont envahir ce beau jardin et le détruire. Alors, monsieur le ministre, n'oubliez pas de couper les mauvaises herbes." (cité par L-J Barbançon, in « La Terre du Lézard », 1995)
Sources :
- Bernard Villechalanne, « Mélanésiens, entre deux civilisations », article in La France Australe, 21 avril 1977.
- R-P Patrick O’Reilly, « Les Calédoniens »,
- Louis-José Barbançon, « La terre du lézard », Ile de Lumière, 1995.
- Discours de M. Hyacinthe Teuet prononcé le 2 décembre 1986.
- Archives personnelles Olivier Houdan, cahier mentionnant les membres de toutes les sections de base du Mouvement d’Union Calédonienne en 1956-1957.
- Mairie de Bourail, Registre de l’Etat civil des citoyens de statut coutumier, 2 mars 2008.
- Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur, service de l’Ordre national du Mérite.
- Témoignages de MM. Julien Boinemoi, Grégoire Souete, Matthias Bruireu, Jocelyne Montazi, Raymond Aï, Hyacinthe Teuet, Taïeb Aïfa, Ismet Kurtovitch et Louis-José Barbançon.
Texte rédigé par Olivier Houdan, à la demande du Maire de Bourail, Taïeb Aïfa, pour le programme distribué aux invités lors de la cérémonie de baptême du collège public de Bourail en avril 2009.
Texte publié dans l'hebdomadaire Les Infos, vendredi 27 mars 2009.
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