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Texte prononcé au Congrès dans le cadre de la présentation du nouvel atlas de la Nouvelle-Calédonie.

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs les conseillers de la Nouvelle-Calédonie,

Mesdames, Messieurs, bonsoir,

La notice et la planche 24 relative à l'histoire contemporaine de la Nouvelle-Calédonie est un travail collectif qui a demandé 3 ans de maturation et d'affinage, de lectures multiples, de modifications nombreuses et des pauses souvent salvatrices.

La conclusion de cette notice est le résultat d'une collaboration et d'une concertation à laquelle ont activement participé des historiens de Nouvelle-Calédonie: Mme Sylvette Boubin-Boyer et MM. Louis-José Barbançon et Ismet Kurtovitch. Nous ne pouvons que saluer également la patience et l'endurance de Jean-Christophe Gay qui pour avoir assisté à plusieurs de nos réunions, a pu prendre le pouls des cicatrices encore béantes et des passions qu'elles provoquent toujours.

Si la segmentation dans le temps n'a pas souffert de la collision des arguments issus de l'expérience et du vécu de chacun des auteurs dans son rapport au factuel, il n'en a pas été de même dans le questionnement que nous nous sommes posés, d'abord à nous-même, avant de le proposer aujourd'hui aux Calédoniens dans un essai sur la re-qualification et la re-nomination de la période dite des “Evènements”.

En effet, et selon la formule proposée par M. Jean-Christophe Gay, qui a achevé de nous convaincre, de quoi les “Evènements” sont-ils le nom?

Permettez-nous de vous proposer la lecture de cet encadré intitulé “Evènements ou guerre?” Il représente notre humble contribution au débat scientifique que nous nous devions d'initier pour ne pas se retrouver, dans trente ans, en porte-à-faux, à la remorque de l'Histoire et de sa lecture.

Les médias nationaux, par analogie avec la situation algérienne, ont rapidement repris l’expression « les Événements » qui avait été utilisée pour qualifier les opérations de « maintien de l’ordre public » en Algérie. Pourtant, sur le terrain, l’affrontement physique, direct, idéologique et armé, oppose deux camps antagonistes: les indépendantistes et les non-indépendantistes aussi appelés « loyalistes ». Comparées de manière proportionnelle à la population française, les quelques 70 victimes civiles et militaires en Nouvelle-Calédonie représenteraient près de 26 000 morts dans l’Hexagone, alors que les 1 200 réfugiés de toutes origines contraints et forcés au départ des vallées vers les villages et des villages vers des communes de la côte Ouest et du Sud, correspondraient à près de 400 000 personnes déplacées ! Dans un milieu insulaire où la proximité, géographique, relationnelle ou parentale peut se transformer en facteur aggravant en cas de crise, tout comme l’impact de la rumeur et l’insécurité permanente, il convient aussi de prendre en compte les milliers d’actes répréhensibles qui portent atteinte aux personnes et aux biens (vols, vandalisme, saccages, assassinats et tentatives d’assassinats de civils, incendies, blocages, attentats, sabotages, séquestrations, intimidations, actes de racisme, assassinats politiques, etc.) commis sur une durée totale de 93 mois.

À ces constats s’ajoutent d’autres éléments : l’encadrement de ce segment d’histoire contemporaine par des assassinats de personnalités politiques : Pierre Declercq en 1981, Jean- Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné en 1989 ; l’existence d’un couvre-feu de plusieurs mois ; la proclamation puis la prorogation de l’état d’urgence du 12 janvier au 30 juin 1985 ; un effectif total de 7 020 personnes des forces armées et de l’ordre en septembre 1987, soit 44 militaires pour 1 000 habitants; des décisions administratives d’exception visant l’expulsion de citoyens français d’une portion du territoire national ; le blocus terrestre d’un village durant près de un mois ; la présence de milices et de groupes armés à Nouméa et dans de nombreux villages ; des opérations de nomadisation de l’armée dans les tribus et enfin, le fait que 80 % des victimes appartiennent à la société civile.

Dans l’esprit du préambule de l’accord de Nouméa, il convient de reconnaître toutes « les ombres » de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Cette époque troublée en fait assurément partie. De quoi, alors, les « Événements » sont-ils le nom : guerre coloniale? guerre d’indépendance ? guerre civile ?...

L'année prochaine, le 18 novembre 2014, cela fera trente ans que la Nouvelle-Calédonie et ses populations plongeaient dans le maelström de la confrontation des corps, des esprits et dans le tourbillon des vertiges insensés.

Estimant le recul désormais suffisant pour envisager une étude voire une analyse sereine des faits, nous avons donc choisi, en pleine conscience, d'oser jeter un regard rétrospectif sur la période.

Nous employons à juste titre le verbe “oser” à dessein.

Au pays du non-dit, vous imaginez facilement que nous avons pris un risque; le risque de modifier la lecture et donc probablement l'interprétation du plus douloureux des segments de notre histoire contemporaine jusqu'à bousculer la mémoire collective calédonienne.

La version définitive de la notice ne ressemble plus à la proposition initiale. Elle a longuement été amendée avant d'être à nouveau critiquée et complétée. Chaque phrase, chaque paragraphe a fait l'objet d'une réflexion approfondie à la lumière des documents, des informations et des archives dont nous disposions. Nous avons eu la volonté de rédiger une notice débarrassée des émotions et des passions pour tendre au plus près de la réalité historique. La vérité n'étant pas de ce monde, il reste cependant à dissiper de multiples zones d'ombre, notamment durant la période dite des “Evènements”.

Une fois la notice écrite, ils nous a fallu faire le choix des illustrations.

Le principal souci a été la recherche d'un équilibre des représentations, des symboles et des références passés et actuels tout en respectant le déroulé du traitement factuel. Leur portée et leur force se sont imposées d'elle-même.

Quelle autre photo que celle d'Eloi Machoro à la “une” des Nouvelles-Calédoniennes, brisant l'urne électorale du bureau de vote n°1 située dans la salle des fêtes de la mairie de Canala aurait pu traduire avec autant de puissance le boycott actif des élections territoriales du 18 novembre 1984, en vue de la mise en place du statut Lemoine et le début de la période insurrectionnelle?

A ce sujet, et à défaut de ne pouvoir rétablir ses droits d'auteur, nous avons souhaité rappeler le nom de Louise Takamatsu, la correspondante des Nouvelles-Calédoniennes, présente ce jour là et auteure de cette photographie emblématique. Louise avec laquelle je me suis entretenu hier, me demande de faire connaître sa parole; cette photographie n'a jamais fait l'objet d'une quelconque mise en scène comme cela a longtemps été soutenu.

Quelle autre photographie que celle de ces grands rassemblements populaires organisés, notamment à l'emplacement de l'ancien vélodrome Brunelet lors de la campagne du référendum d'autodétermination du 13 septembre 1987 aurait pu témoigner de la résistance et de l'opposition farouche d'une partie de la population calédonienne au mot d'ordre d'indépendance kanak socialiste? Un grand merci à M. Pierre Viannenc pour la mise à disposition gracieuse de ce document.

Il en va également de cette photographie des membres du premier conseil de gouvernement dirigé par Maurice Lenormand, issu de l'extension locale de la loi-cadre Defferre. Elle reflète la densité du chemin parcouru depuis la fin de l'Indigénat et l'application progressive du droit de vote entre 1944 et 1957.

Enfin la planche accompagnant la notice a connu plusieurs scénarios. A l'origine, l'idée était de montrer la localisation géographique des fiefs électoraux des principaux responsables politiques depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cette carte indiquait également les congrès fondateurs d'une quinzaine de partis politiques et le nom de leurs leaders.

Très vite, d'un commun accord, la décision a été prise de consacrer cet espace à la cartographie des “Evènements”.

Après un passage en revue d'une grande partie de la presse locale, des rapports et enquêtes de gendarmerie consultables, de certains dossiers d'indemnisation, mais aussi les témoignages recueillis depuis plus de quinze ans, nous avons pu établir une légende relativement complète.

Elle fait mention des principaux foyers insurrectionnels; des barrages et contre-barrages routiers; du lieu et de la durée des séquestrations; des sabotages et du nombre d' attentats à l'explosif. Les flammes rouges rassemblent toutes les autres atteintes aux biens. Les flèches de différentes tailles représentent les déplacements de population.

Les personnes tuées dans des assassinats, lors d'affrontements armés ou de meurtres ont fait l'objet d'un dénombrement précis à l'issu d'un recensement minutieux. Le nombre de victimes décédées, le fait qu'elle soit civiles ou militaires et l'année de commission permettent de prendre conscience de l'ampleur des souffrances subies par les populations au cours, de ce que l'on peut nommer une guerre civile.

Il nous faut conclure.

Que nous apprend l'histoire de la Nouvelle-Calédonie au cours des cinquante dernières années. L'enchaînement des faits historiques et des actes politiques depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, ont longtemps été le reflet du dualisme classique entre le colonisateur et le colonisé et de leurs incompréhensions réciproques; En accédant, par ses multiples convulsions à la table de chevet de la République française, la personnalité calédonienne qui a pris l'habitude de l'amplitude statutaire ne pouvait que revêtir un cadre institutionnel correspondant à son envergure particulière. Par l'adaptation du texte au contexte, l'Accord de Nouméa organise sans équivoque la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie en prévoyant son émancipation politique; Désormais, les enjeux résident dans la capacité des femmes et des hommes issus de cette terre du pacifique profondément kanak et calédonienne à s'accorder autour de leur singulier pluriel afin de répondre au plus difficile des défis: réussir l'alliance entre les membres de son peuple originel et ceux issu de son peuplement original.

Mesdames, Messieurs, Merci de votre attention.

Olivier Houdan

Texte prononcé le 22 février 2013 lors de la présentation de la notice relative à l'histoire contemporaine de la Nouvelle-Calédonie (1946-1998) dans le cadre de la sortie du nouvel atlas 2013.

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