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Petite histoire abrégée et forcément incomplète de la longue gestation du Mouvement d'Union Calédonienne (1945-1956).

Entre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et le premier congrès du Mouvement d’Union Calédonienne, l’histoire de notre pays est balisé durant ces onze années par plusieurs évènements historiques et politiques majeurs qui vont permettre, dans un contexte de décolonisation, la lente maturité de l’idée d’Union Calédonienne dont la force réside en grande partie dans l’engagement mutuel issu de la rencontre de plusieurs esprits éclairés pour le partage du pouvoir entre les deux principales communautés du pays.

1945: La première revendication politique des tirailleurs indigènes calédoniens.

Au mois de novembre 1945, les tirailleurs indigènes du Bataillon du Pacifique, combattants volontaires des Forces Françaises Libres et les marins autochtones des Forces Navales Françaises Libres font parvenir au Ministre de la France d’Outre-Mer, un exposé de leurs vœux et de leurs doléances.
Dans le contexte libérateur de l’époque, cette revendication des indigènes de Nouvelle-Calédonie résonne avec force et détermination comme le plat de la main qui frappe à la porte d’entrée de la Cité encore interdite. A l’image de nombreux autres peuples sous domination coloniale, les Indigènes calédoniens aspirent, à l’orée d’une ère nouvelle, à une amélioration inconditionnelle de leur situation dans leur patrie-mère compte tenu de leur engagement et du sang versé pour la libération de la France, qu’ils considérent tous comme leur mère-patrie. Cette revendication prend d’autant plus de sens qu’elle intervient un mois après l’élection le 21 octobre 1945 de l’Assemblée nationale constituante chargée de rédiger la nouvelle constitution, qu’elle rejoint dans l’esprit, le nouvel idéal commun qu’élaborent les Nations Unies et qu’elle intervient six mois après l’adoption de la Charte de San Francisco.
Stationnées significativement à la caserne de La-Tour-Maubourg, à proximité immédiate du triangle institutionnel parisien, au cœur de la capitale, les troupes du Bataillon du Pacifique attendent depuis la fin des hostilités sur le sol français, le navire qui pourrait les rapatrier vers leur univers océanien. Rapatriement qui n’interviendra qu’au début 1946. Durant ce laps de temps, les ressortissants calédoniens recoivent la visite de nombreux compatriotes installés en France ou de passage à Paris, parmi lesquels un jeune mâconnais bardé de diplômes, marié à une mélanésienne de Lifou et qui a vécu toute la période de l’occupation allemande dans la capitale. Il a la confiance d’un très grand nombre de ces hommes qui lui ont demandé de rédiger ce texte. Il s’appelle Maurice Lenormand. Il effectuera avec sa famille, le voyage du retour sur Le Sagittaire avec les glorieux combattants du Pacifique.
Voici l’intégralité de cette lettre de revendication:

“Monsieur le Ministre,
Les tirailleurs et marins indigènes de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances, tous engagés volontaires pour venir au secours de la France et la libérer de l’oppression, se permettent de profiter de leur séjour à Paris pour présenter à Votre Excellence leurs vœux et leurs espoirs concernant l’amélioration de leur condition sociale, économique, culturelle et politique et l’avenir de leur communauté ethnique dans le cadre d’un statut rénové de la Colonie.
Les tirailleurs calédoniens et loyaltiens, combattants de Bir-Hakeim, de Tunisie, d’Italie, d’Alsace, les marins calédoniens et loyaltiens des débarquements du Midi, de Grèce, d’Italie, des convois d’Afrique, de Russie, ne demandent rien pour eux-mêmes mais ils pensent avoir un grand devoir à remplir et ils estiment que le sacrifice d’un grand nombre d’entre eux et le combat volontaire de quatre ans qu’ils ont mené derrière le général de Gaulle, les autorisent et les qualifient pour être les porte-paroles et les interprêtes de tous leurs frères indigènes de la Nouvelle-Calédonie et des Dépendances dont la voix n’a jusqu’ici jamais pu se faire entendre auprès du Gouvernement de la France.
Ils pensent que leurs actes ont prouvé à la France, d’une façon incontestable, la fidélité et l’amour de la population indigène de la Nouvelle-Calédonie et des Îles Loyalty et qu’ayant ainsi racheté les fautes qu’ont pu commettre leurs ancêtres, ils ont mérité d’être considérés comme des vrais fils de la France et d’avoir gagné le droit à la sollicitude et à l’attention de son Gouvernement.
Membres de l’Empire français résistant et fiers d’avoir participé activement à la libération de la Mère-Patrie pour laquelle un grand nombre sont tombés sans l’avoir jamais vue et sans avoir la joie de toucher son sol, les indigènes néo-calédoniens et loyaltiens espèrent qu’à leur tour, ils pourront être libérés d’un régime périmé, trop souvent oppressif et injuste, et qui tend à les maintenir dans une condition inférieure moralement, intellectuellement et économiquement.
C’est pourquoi, les soldats et marins indigènes de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances se permettent très humblement, comme interprètes de leurs frères, d’attirer l’attention de Votre Excellence et du Gouvernement français sur les principaux aspects de leur condition passée et présente et de lui présenter très respectueusement leurs vœux et leurs désirs pour procéder à l’amélioration de leur sort matériel et rénover leur statut social et administratif, afin de conserver, dans le cadre des idéaux et de la mission colonisatrice de la France, la vieille société indigène à laquelle ils appartiennent et en dehors de laquelle ils ne pourraient être que des déracinés dans leur propre pays.
Dans l’immense espoir que vous voudrez bien accorder votre très bienveillante attention à ces vœux et à ces désirs, les tirailleurs et marins engagés volontaires de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances vous prient d’exprimer au Gouvernement de la France et à son chef le général de Gaulle, l’assurance de leur indéfectible attachement, de leur fidélité et de leur fierté d’être Français.
Ils vous prient d’agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de leurs sentiments de très profond respect et de leur entier dévouement.”

1946: Le retour triomphal des Volontaires du Bataillon du Pacifique.

Le 21 mai 1946, plus de douze mois après la signature de l’armistice mettant un terme à la Seconde Guerre Mondiale en Europe, les survivants Calédoniens engagés volontaires du Bataillon du Pacifique sont de retour en Nouvelle-Calédonie.
On doit au capitaine Félix Broche, d’avoir ravivé la flamme de ce corps expéditionnaire composé de ressortissants des colonies françaises du Grand Océan, au lendemain de la défaite de la France et de la signature de l’armistice avec l’Allemagne en juin 1940 et dont les annonces parviennent outre-mer en même temps que la réception du message d’appel à la résistance d’un général encore inconnu. C’est un mélange de consternation et d’espoir qui assaille la fibre patriotique des citoyens français et sujets de l’Empire colonial en même temps qu’une très forte envie d’ailleurs. Partis le 21 avril 1941 de Tahiti puis le 5 mai de Nouméa, le “BP” gagne le Proche-Orient et l’Egypte où il s’illustrera à Bir Hakeim. Actif participant à ce premier titre de gloire de la France Libre depuis l’Appel du 18 juin 1940, le Bataillon du Pacifique efface du même coup, l’affront du surnom que lui avait infligé un officier supérieur français en Syrie du fait qu’aucun d’entre eux n’avait encore jamais prouvé son courage aux feux: les “guitaristes” savaient aussi manier les armes. Et, ils le prouvent à chaque fois, en débloquant les verrous ennemis sur le chemin de la reconquête de la France et de la libération de l’Europe, notamment lors de la libération de la Tunisie; de l’assaut de la Ligne Gustav; de la marche sur Rome; de la bataille de Monte Cassino, de la prise de Sienne; du débarquement en Provence; de la libération de Hyères et de Toulon; de la remontée du Rhône et de la libération de Ronchamps. Autant de lieux et d’étapes où les combattants tahitiens, néo-hébridais et calédoniens se distinguent par leur courage et leur abnégation au combat.
Directement concerné par un ordre de relève général émis en septembre 1944, le Bataillon du Pacifique est convoyé vers Paris où il reste cantonné jusqu’à la fin du conflit. L’attente du retour s’éternise alors que leur acte d’engagement mentionnait: “engagé volontaire pour la durée de la guerre, plus trois mois.” La fin des hostilités ayant été signée sur le théatre européen, le 8 mai 1945, les soldats du Bataillon du Pacifique, devenu depuis le 1er juillet 1942, le Bataillon d’Infanterie Mixte du Pacifique, auraient dû être rapatriés dans leurs foyers, au plus tard le 8 août suivant. La désorganisation de l’appareil d’Etat et la difficulté de dégager un navire des routes commerciales prioritaires ou des voies d’approvisionnement d’urgence pour un appareillage vers les antipodes expliquent le non respect de ce délai réglementaire. En septembre 1945, les engagés océaniens sont envoyés à Saintes en Charente où ils résident jusqu’à Noël avant d’être acheminés par train à Saint-Laurent du Var qu’ils quittent en février 1946 pour rejoindre le port de Marseille où ils embarquent le 15 mars à destination de Papeete et Nouméa.
Ils sont au total 2020 passagers à s’entasser sur un navire qui n’offrent que 200 places pour effectuer le trajet du retour tant attendu. Des civils se mêlent également à la troupe, parmi lesquels des étudiants diplômés, des fonctionnaires et des administrateurs métropolitains (magistrat, contrôleur des PTT, contrôleur principal des douanes, Conseiller à la cour d’appel, ingénieur géologue, etc.), des chefs d’entreprise, quatre médecins, cinq enseignants, des institutrices, un pasteur, deux mécaniciens, une coiffeuse, quatre religieuses, un missionnaire, un interprète, neuf gendarmes accompagnés de leur famille. Les cales du navire regorgent aussi de marchandises de quincaillerie, de matériels ménagers et d’épicerie fine qui rempliront les devantures et les étals de la Maison Barrau ou du magasin Monica. Le trajet est ponctué d’une escale plus longue que prévue à Fort-de-France à la Martinique où les passagers patientent deux semaines, le colmatage des petites voies d’eau dans la coque avant de poursuivre par le Canal de Panama. L’arrivée et l’accueil à Tahiti, le 6 mai 1946 sont grandioses. Les festivités auxquelles participent tous les passagers, se déroulent dans la liesse générale durant toute une semaine. Un communiqué précise même: “les autorités et les populations locales des Etablissements Français d’Océanie ont été heureuses d’accueillir les Calédoniens et elles louent leur parfaite tenue et conservent le meilleur souvenir de leur passage.” Puis vint le moment tant attendu, le mardi 21 mai 1946, vers 16h00, en provenance de Port-Vila qu’il a quitté la veille, le “Sagittaire” du commandant Drevet rentre en rade de Nouméa sous les salves des canons et des sirènes des navires et accoste au désormais célèbre “Quai des Volontaires”. Les services du gouverneur ont eu l’excellente idée d’affranchir les soldats des formalités douanières permettant ainsi d’accélérer les retrouvailles. Certains soldats retrouvent leur terre natale et leur famille près de 61 mois après leur départ en mai 1941.
Les Volontaires du Bataillon du Pacifique sont reçus comme des héros.
La journée du 21 et la matinée du 22 mai sont fériées: écoles, bureaux, ateliers et chantiers sont fermés. Une semaine festive est programmée: prise d’armes, réception, banquet, messe catholique et cérémonie protestante, feux d’artifices, corso fleuri, défilé de chars, grand bal populaire, course cycliste, matchs de foot-ball et de basket-ball se déroulent dans la joie tandis que les forains ont monté leurs baraques sur la Place Bir Hakeim et que résonnent encore les envolées lyriques des discours officiels, et en particulier l’allocution bouraillaise du capitaine Dubois. Certains temps forts sont même retransmis en direct sur Radio-Nouméa. L’Intérieur n’est pas en reste: La Foa, Bourail, Houaïlou, Voh organisent également des réceptions et des manifestations. La population calédonienne est en pleine communion avec ses soldats.
L’arrivée du “Sagittaire” si elle représente la première liaison maritime entre la France et la Calédonie de l’après-guerre, intervient en pleine campagne électorale, entre le scrutin du 5 mai ayant rejeté le projet constitutionnel et l’élection du député calédonien à la nouvelle assemblée constituante prévue le 2 juin. Malgré l’œuvre libératrice accomplie par tous les soldats calédoniens, le corps électoral demeure figé dans les oripeaux du colonialisme. Un communiqué signé du gouverneur Jacques Tallec en date du 7 mai précise les deux catégories d’électeurs mobilisables pour le scrutin, “les citoyens français et citoyennes” et “les indigènes calédoniens des deux sexes non-citoyens”, avant d’ajouter que la loi Lamine Gueye étendant la citoyenneté française à l’ensemble des ressortissants de l’Outre-mer français ne sera pas retenue pour cette élection, motivée en cela par une révision en cours des listes électorales des non-citoyens.
Le dimanche 2 juin 1946, douze jours après le grand retour des Engagés Volontaires, un autre bataillon se fait jour, celui des Indigènes Calédoniens exclus du droit de vote dont le combat pour l’égalité politique ne fait que commencer...

1947: La création des deux associations confessionnelles mélanésiennes: L’UICALO et l’AICLF.

L’Union des Indigènes Calédoniens Amis de la Liberté dans l’Ordre (UICALO) et l’Association des Indigènes Calédoniens et Loyaltiens Français (AICLF) respectivement d’obédience catholique et protestante sont exclusivement mélanésiennes, statutairement apolitiques et à caractère confessionnel. Elles ont été créées en 1947 par le Père Luneau et le pasteur Bénignus. Leur objectif avait un double caractère: officiel, par l’accompagnement et l’encadrement de la masse autochtone au moment de la mise en place d’un cadre juridique et politique libérateurs; officieux, en faisant barrage aux idées communistes véhiculées par Jeanne Tunica y Casas, l’égérie du parti communiste calédonien qui commence à rallier à sa cause de plus en plus de Mélanésiens en soutenant énergiquement leur émancipation politique et sociale.
Au sein de ces deux structures, une intense réflexion sur la nécessaire évolution de la condition mélanésienne se fait jour. De nombreuses publications internes et des prises de positions durant les conférences annuelles en témoignent. Le monde mélanésien est en pleine effervescence. Des revendications grandissantes et de profondes réformes intéressant directement la collectivité autochtone sont annoncées dans des programmes aux accents parfois politiques comme l’inviolabilité des réserves, l’amélioration de l’instruction scolaire, l’égalité des conditions de travail et de solde, l’interdiction de la vente d’alcool dans les tribus, l’établissement légal d’un statut indigène évolué ou encore une représentation indigène auprès de l’administration. Au fur et à mesure de leur développement, l’Union et l’Association se structurent à la base, dans chaque tribu, désignant des délégués, rassemblant leurs membres dans des réunions locales, régionales puis générales, portant à leur tête des personnalités reconnues et respectées (Rock Pidjot pour l’UICALO, Kowi Bouillant pour l’AICLF). Leur audience prend une envergure territoriale. En 1948, elles rassemblent 15.000 membres soit la presque totalité des adultes mélanésiens de l’époque. Ils vont jouer un rôle primordial lors de l’élection législative de 1951 puisque le candidat sur lequel porteront leurs suffrages est presque assuré de l’emporter.

Revendications de l’Union des Indigènes Calédoniens Amis de la Liberté dans l’Ordre du 25 mai 1946.

FRERES INDIGENES DE LA GRANDE TERRE ET DES ILES,

Le Parti communiste, par la voix répétée de ses tracts et de ses agents de nuit, vient prêcher jusque dans nos petites tribus l’union contre l’Administration et les “esclavagistes blancs”.
C’est entendu, nous nous unissons, nous constituons partout, dans tous nos villages, des comités de la liberté, mais pas de comités communistes marchant à l’aveugle, à la remorque de tous les mots d’ordre venus de l’étranger, jaloux et désireux de jeter la “pagaïe” dans nos rangs.
Nous constituons partout des comités de résistance à l’erreur la plus néfaste que le monde ait vue jusqu’ici.
Nous levons l’étendard de la liberté mais de la vraie liberté et de ses deux sœurs: l’égalité et la fraternité qui ne doivent avoir ni deux faces, ni deux poids, ni deux mesures.
Nous ne sommes pas des roussettes à ne voyager que la nuit ou à ne se rassembler que dans l’obscurité.
Notre programme nous le déployons au grand jour et à la face de tous, à quelque race ou religion qu’ils appartiennent. C’est un programme d’ordre, de justice et de fraternité.
Le drapeau de la liberté que nous levons n’est pas celui de la révolte. Il peut flotter gaiement sous celui des Trois Couleurs. Il assure notre collaboration loyale et franche à tous ceux qui ont travaillé et qui travaillent encore si nombreux et avec désintéressement au bien moral, économique et social de notre petite Patrie, la Nouvelle-Calédonie et de notre grande Patrie de toujours: la France.
Frères Indigènes de la Grande Terre et des Iles, unissons-nous tous étroitement pour être et plus forts et plus puissants et mieux écoutés quand il s’agira de présenter et de faire aboutir les revendications de nos plus justes droits et de repousser fièrement les promesses les plus brillantes, entâchées de fausseté et d’anti-patriotisme.
Notre terre calédonienne est suffisamment grande et riche pour faire vivre de son sol, de son sous-sol, de la mer qui l’entoure et des industries qu’elle peut multiplier, une population, 10 fois, 15 fois plus nombreuses. De ce côté, rien à craindre, si tous savent se respecter et s’aider dans une grande et juste fraternité.
Alors pour nous, que devons-nous demander et obtenir? La liberté après laquelle tous soupirent?
Oui, toutes les libertés justes et saines qui ennoblissent les hommes dignes de ce nom: liberté de la pensée, de la parole, de la presse, de l’association, etc.; en un mot, liberté d’action la plus large dans toutes les choses honnêtes qui respectent les justes droits d’autrui.
Nous demandons, en tout premier lieu, l’inviolabilité de nos réserves indigènes, le maintien de la propriété familiale, telle que l’ont consacrée nos usages séculaires.
Nous demandons l’établissement légal d’un statut indigène évolué, pour régler les différends qui peuvent surgir à l’intérieur des tribus. Nous demandons que le chef est un conseil élu par ses sujets et que les Conseillers élus aient voix délibérative lorsqu’ils sont réunis en assemblée.
Nous voulons avoir des représentants indigènes élus par leurs compatriotes pour soutenir auprès de l’Administration nos droits et nos intérêts.
Nous demandons d’avoir aussi des représentants indigènes qualifiés, élus par leurs compatriotes, quand il s’agit d’établir et de mettre à jour les contrats de travail, afin que justice et sécurité soient données tant aux employés qu’aux employeurs.
Nous demandons que soient abolies toute espèces de réquisitions tant pour les particuliers et les sociétés que pour l’Administration. Nous voulons travailler dans la liberté au même titre que les européens ou assimilés. Nous ne refusons pas, pour autant, de prêter notre concours, dans la mesure du possible, à tous les travaux d’intérêt général ou particulier, pourvu que les conditions de travail et de solde soient reconnues équitables.
Nous demandons l’abolition des prestations que nous étions seuls à faire jusqu’ici.
Si pour remplacer l’impôt foncier et celui de succession, l’impôt de capitation doit être maintenu, nous demandons que les indigènes n’y soient soumis que de 20 à 50 ans et qu’un degrèvement partiel ou total soit concédé aux pères de famille suivant le nombre de leurs enfants.
Nous savons que l’octroi global de ces libertés ne sera pas sans amener quelques licences chez un certain nombre.
Nous demandons dès lors à l’autorité coloniale d’être secondés par l’emploi d’une discipline ferme assurant la répression rapide de tous les désordres, —en particulier de ceux qui proviennent de l’usage et de la vente des boissons alcoolisées.— Ce n’est pas là seulement en effet une question d’intérêt individuel, mais une question d’intérêt familial et social. C’est une question de vie ou de mort pour nos tribus. C’est une question d’intérêt primordial pour la Calédonie toute entière, — blancs comme indigènes —.
Nous demandons donc que les délinquants, tant vendeurs que consommateurs, soient punis sévèrement lorsqu’ils enfreignent la loi.
Nous demandons que les commerçants de tribu ne soient jamais autorisés à vendre des boissons alcoolisées.
Nous demandons que des “agents de police” indigènes assermentés soient reconnus officiellement dans toutes les tribus comme auxiliaires des représentants de l’Autorité, avec pouvoir de dresser, si nécessaire, un procès-verbal conforme, devant témoins.
Nous demandons que l’instruction donnée dans les écoles choisies par les familles soient améliorée et soutenue par le Gouvernement.
Nous voulons plus de liberté pour avoir plus de justice dans le respect de nos droits, sans préjudice de nos devoirs. De la sorte nous sommes sûrs d’évoluer plus rapidement vers la vraie civilisation et d’apporter un meilleur concours au bonheur de tous les Calédoniens, de tous les Français et de tous les Humains.
Vive la Nouvelle-Calédonie! Vive la France!

1951: L’élection de Maurice Lenormand, le “député des Canaques”.

Les élections législatives du 17 juin 1951 consacrent en métropole, la montée en puissance du Rassemblement du Peuple Français, le parti du Général De Gaulle tout en confirmant l’implantation du Parti Communiste et le maintien d’un électorat SFIO (socialiste). En Nouvelle-Calédonie, en raison de la publication tardive du décret d’application et du délai légal réservé à la campagne électorale, les citoyens néo-calédoniens ne sont appelés aux urnes que le dimanche 1er juillet 1951 pour élire leur unique représentant à l’Assemblée Nationale. Le corps électoral remodelé par la loi du 23 mai 1951, qui étend le droit de vote à de nouvelles catégories de la population autochtone âgée de plus de 21 ans sans qu’il soit donné à tous permet toutefois la participation effective d’une grande partie des autochtones adultes. Grâce à l’action bienveillante de Jacques Rouleau, chef du service des Affaires indigènes qui a fait inscrire en grand nombre les électeurs et électrices mélanésiens, dans la droite ligne de l’extension progressive du suffrage universel (définitivement étendu aux élections territoriales du 6 octobre 1957), l’électorat mélanésien qui ne comportait que 1144 inscrits s’élève à 8930 électeurs à la veille du scrutin (5486 hommes pour 3444 femmes). Ce qui représente environ 46% du corps électoral néo-calédonien établit, en juillet 1951, à 19761 électeurs et électrices soit près du double de l’élection législative du 10 novembre 1946 (10270 inscrits). Cette entrée en masse des autochtones dans le corps électoral néo-calédonien est plus qu’une évolution, c’est un véritable bouleversement en profondeur de la société de l’époque et une remise en cause totale de la domination des néo-calédoniens d’origine européenne sur le corps électoral et par voie de conséquent sur les institutions politiques du Territoire.

Les forces en présence.

Contacté tardivement par le pasteur Marc Lacheret, alors qu’il séjourne chez son ami d’enfance Pierre Anthonioz, Commissaire-résident de France dans le condominium des Nouvelles-Hébrides, Maurice Lenormand surpris par la demande qu’il lui est adressée, se donne quelques heures de réflexion avant d’accepter la responsabilité d’une candidature à la députation qu’il dépose à Port-Vila. Le samedi 9 juin, ce jeune pharmacien de 38 ans, originaire de Mâcon, inconnu du grand public, entre officiellement dans la course au Palais Bourbon. Trois jours plus tard, il regagne la Nouvelle-Calédonie pour se lancer dans la campagne officielle. Aux côtés de Lenormand, trois autres candidats se présentent devant les électeurs. A gauche, suite au désistement de Pierre Mariotti, Florindo Paladini, le Thorez calédonien, le champion des idées de progrès social, fondateur pendant la Guerre, de l’Association des Amis de l’URSS puis en 1945, de l’éphémère parti communiste calédonien aux côtés de Jeanne Tunica y Casas, entre dans la joute. Dans le camp gaulliste, c’est la stupéfaction. Roger Gervolino, le député-sortant, acteur du Ralliement à la France Libre en septembre 1940, représentant du Territoire depuis 1943 à l’Assemblée constitutive d’Alger, réélu à deux reprises en 1946 est opposé à Paul Métadier, le premier bailleur de fonds de l’homme du 18 juin, directement investi par le Rassemblement du Peuple Français, le parti du Général De Gaulle. Le cœur gaulliste de la Nouvelle-Calédonie est coupé en deux. Qui choisir entre Gervolino, gaulliste néo-calédonien de la première heure et Métadier, directement parrainé par le Général?

Maurice Lenormand, le candidat providentiel ou les raisons profondes d’un choix.

Aux yeux des représentants des deux associations confessionnelles mélanésiennes, l’UICALO catholique et l’AICLF protestante créées en 1947, officiellement pour accompagner et encadrer, l’entrée massive des autochtones dans la Cité; officieusement pour lutter contre les idées communistes, le temps est venu de s’investir dans le débat politique local et de se ranger derrière un même candidat pour la députation de juillet 1951. Plusieurs versions se côtoient et se juxtaposent quant à savoir qui, des acteurs religieux ou intellectuels de la vie publique d’alors, ont eu la primauté de choisir Lenormand comme candidat.
Dans un supplément intitulé “1952” publié en 1986 dans la réédition de son livre “Gens de la Grande Terre”, Maurice Leenhardt explique que les électeurs mélanésiens ont choisi son élève car ils connaissaient sa compréhension et sa compétence. Pour Jean Guiart et le pasteur Raymond Charlemagne, Maurice Lenormand leur apparaissait comme le seul homme de bonne volonté dont l’élection aurait permis d’insuffler un souffle nouveau sur l’échiquier politique local.. Dans une situation largement postérieure à l’élection de 1951, Maurice Lenormand lui-même raconte: A la veille des élections législatives de 1951, se souvenant d’une recommandation du Père François Luneau, Roch Pidjot était venu me contacter, accompagné de Luc Wadé, le secrétaire-général de l’UICALO (...), de Kowi Bouillant, Grand Chef des Poyes, président de l’AICLF (...) et du secrétaire-général de ce mouvement, Doui Matayo Wetta. Ils me demandèrent d’être leur candidat pour cette élection législative (...). Il semble donc avéré qu’il y ait eu une volonté de présenter un candidat unique dont la désignation a fait l’objet d’un commun accord entre les Missions catholique et protestante, entre l’UICALO et l’AICLF. Excepté le débat sur la primauté du choix Lenormand, d’autres raisons l’expliqueraient. Issu d’une fervente famille catholique pratiquante, il a reçu une éducation chrétienne. Il a également été l’étudiant du Professeur Maurice Leenhardt, dont le nom et l’action jouissent à l’époque d’un incontestable aura auprès des autochtones de confession protestante. Par son mariage avec Simone Wapata Soot, du district de Lösi à Lifou et protégée de Jules Calimbre, un “petit-mineur”, Maurice Lenormand, via le puissant lignage de son épouse s’assure un solide ancrage parmi les notables de l’île et dans le monde mélanésien loyaltien. Fin connaisseur des traditions autochtones qu’il a étudiées; parlant le drehu qu’il a appris avec Hnoija Wahnyamala, l’oncle maternel de son épouse, chef de la tribu de Kejëny dont le clan constitue l’un des sept piliers de la Grande chefferie de Lösi, le futur député est également un homo novus ayant une vision moins étriquée et plus progressiste de la société néo-calédonienne telle qu’elle se présente à l’époque. Il ne souffre pas de maintenir un rang et des privilèges à l’image des vieilles familles de la bourgeoisie nouméenne. Il peut donc ainsi vêtir les habits neufs et endosser ses possibles responsabilités futures dans le cadre du contexte politique local, et ce, sans faillir ni à ses idées, ni à ses engagements passés.

Résultats, analyses, commentaires et perspectives du scrutin.

Au soir de la consultation électorale, le dépouillement des bulletins de vote donne 2144 voix à Paladini, 2252, au candidat du RPF, 4207 au député sortant et 5037 voix à Maurice Lenormand. A l’occasion de ce scrutin, 20478 électeurs étaient inscrits, 13749 ont participé au vote (67%), 6729 se sont abstenus (33%) et l’on dénombre 211 bulletins blancs ou nuls. Maurice Lenormand obtient d’excellents résultats dans la 2ème (Côte Ouest et Bélep) et la 3ème circonscription (Côte Est, Iles Loyauté, Ile des pins) avec respectivement 1287 voix (40% des suffrages exprimés) et 2917 suffrages (54% des exprimés). La 3ème circonscription est le principal gisement de voix du nouveau député. Il ne réalise que 530 voix à Nouméa soit à peine 12% des 4250 suffrages exprimés. Par contre, il est plébiscité à Bélep (98% des suffrages exprimés), à Koné (84%), à Pouébo-Oubatche (83%), à Ouvéa (82%), à Hienghène (80%), à Yaté-Goro (79%), à Canala (78%) ou encore Touho (77%). A l’évidence, les mots d’ordre des Eglises, les recommandations de vote des deux associations et les prises de position indirectes de l’Administration ont largement été suivis par les électeurs, notamment mélanésiens. La répartition communautaire du corps électoral néo-calédonien prouve sous un angle différent que Lenormand a fait le plein des voix autochtones dans toutes les circonscriptions à l’exception des communes acquises à Florindo Paladini (Houaïlou, Lifou, Maré). Précisons également que le candidat Lenormand a séduit environ 400 électeurs européens de l’Intérieur et une cinquantaine sur Nouméa. Notons par ailleurs, que plus d’un tiers des électeurs inscrits n’a pas pris part au vote. Cette désaffection s’explique peut-être par les très mauvaises conditions météorologiques du moment, qui ont provoquées de graves inondations, en particulier sur la Côte Est. En effet, le relevé des données climatologiques indique que certaines stations détiennent encore à l’heure actuelle, le record de précipitations cumulées sur deux jours pendant la période juillet à septembre pour les années 1951 à 2005. Par exemple, La Foa a reçu 256,5 mm de pluie entre le samedi 30 juin 8h00 et le lundi 2 juillet 1951 8h00! Certains électeurs inscrits à Poindimié ont du traverser les rivières Amoa ou Tchamba en crue pour accomplir, pour la toute première fois, leur devoir civique.
La raison de l’échec de Gervolino est dûe en grande partie à la candidature de Métadier. Une simple addition de voix dans le camp gaulliste lui aurait assuré sans difficultés, un quatrième siège de député. Plus que le soutien des associations confessionnelles mélanésiennes, c’est l’incohérence de la stratégie gaulliste qui a sans doute permis l’élection de Lenormand. Le parachutage de Métadier s’est transformé en naufrage. Le député-sortant souffrait également de quelques désavantages et non des moindre aux yeux des autochtones et du petit colonat blanc européen: l’outrageuse ignorance de la question indigène et son soutien à peine voilé aux intérêts des grandes maisons de la place, précise Monseigneur Bresson. Sur Métadier, Pierre Anthonioz écrit: “Il semble que le Général tient plus à compter ses voix que d’avoir des sièges sans quoi une candidature RPF déclarée un mois auparavant aurait pu avoir de gros appuis en Calédonie”, avant d’ajouter: “Métadier avait essayé de persuader Lenormand de se désister en sa faveur”. Sur Gervolino, ce même observateur précise que son échec était prévisible: “Gervolino par son incapacité, sa fainéantise a accumulé un certain nombre d’erreurs”. S’adressant à Jacques Foccart, Anthonioz, déclare à propos du nouveau député: “[...] En fait ses idées et son programme (...) le rapproche singulièrement du RPF. Il doit venir normalement à nous. (...) Je souhaite que la vie politique ne le change pas trop rapidement”.
Rapidement, dans les jours qui suivent l’élection de Maurice Lenormand, ses désormais adversaires politiques relancent une campagne d’opinion contre le nouveau député de la Nouvelle-Calédonie et des Nouvelles-Hébrides et ce, dans la perspective du renouvellement du Conseil général prévue fin 1952. Maurice Lenormand reçoit le surnom révélateur de “député des canaques”. Révélateur, certes au regard de ses résultats. Révélateur également d’une certaine forme de mépris mais surtout d’une tactique habile tendant à démarquer l’électorat autochone de l’électorat européen et de faire passer insidieusement l’idée que, puisque les autochtones ont leur “propre” député à l’Assemblée nationale, par conséquent les européens devront avoir leurs propres représentants à l’Assemblée locale. Derrière ce surnom, se cache déjà l’enjeu du débat sur l’unité ou la divison du collège électoral devant élire les conseillers généraux. Le collège unique qui sera ardemment combattu et en définitive conservé, est le gage des futurs succès électoraux du mouvement à la croix verte...
Voici deux documents pour la bonne compréhension des motivations qui animent la candidature de Lenormand à la députation: le texte intégral de son affiche électorale et sa profession de foi dans laquelle il expose les grandes lignes de son programme politique:

Election Législative du 1er Juillet 1951
ELECTRICES, ELECTEURS
DE LA NOUVELLE-CALEDONIE ET DES NOUVELLES-HEBRIDES

Depuis 17 ans parmi vous j’ai fait souche dans ce pays que je considère comme mien et que je crois bien connaître.
En raison des graves problèmes de l’heure, j’ai décidé de me mettre au service du pays pour lui éviter une crise intérieure et défendre sa sécurité monétaire.
Dimanche 1er juillet, vous voterez pour le candidat LIBRE et INDEPENDANT.
Vous voterez pour la bonne harmonie entre tous les éléments de la population.
Vous voterez pour assurer à vos enfants, sans surcharges pécuniaires, même pour les plus éloignés des Centres, une instruction dans le cadre de votre choix.
Vous voterez pour l’avenir de la JEUNESSE par son accession plus large aux emplois publics ou techniques.
Vous voterez pour la protection de la famille calédonienne par la garantie du pouvoir d’achat des salariés et l’extension des Allocations Familiales.
Vous voterez pour la sécurité de votre existence et celle des vôtres par une véritable législation sociale et la réglementation des accidents du travail et de la retraite.
Vous voterez pour le maintien de la prospérité de notre pays, pour la défense urgente du FRANC PACIFIQUE durement menacé; vous savez quelles seraient les conséquences catastrophiques de l’effondrement de notre monnaie. Sa défense doit être menée par des hommes capables.
Vous voterez non du point de vue sentimental, mais pour la raison, la clairvoyance, la compétence dans la sauvegarde de vos intérêts.
Vous voterez INDEPENDANT.
Vous voterez pour le seul intérêt du pays.
Vous voterez donc aussi Calédonien, pour un technicien et non pour un politicien en votant LENORMAND.

Maurice LENORMAND
Ingénieur Agricole-Diplômé de la Faculté de Pharmacie-Diplômé de l’Institut d’Ethnologie- Lauréat de l’Ecole des langues Orientales-Ancien combattant 39-45.

ELECTION A L’ASSEMBLEE LEGISLATIVE DU 1er JUILLET 1951
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ELECTRICES ET ELECTEURS DE LA NOUVELLE-CALEDONIE ET DES NOUVELLES-HÉBRIDES

Chers Concitoyens:
Vous allez élire le 1er Juillet votre représentant à l’Assemblée Nationale.
Vous affirmerez par ce vote votre volonté d’assurer l’avenir de la NOUVELLE-CALEDONIE et de tout l’Archipel.
Vous allez montrer votre désir d’avoir enfin un député capable de représenter efficacement notre pays et, par son indépendance totale, de défendre les intérêts de TOUTE LA NOUVELLE-CALEDONIE et NON DE QUELQUES-UNS.
Voici le programme que je vous propose:

PROGRAMME FAMILIAL:
La famille calédonienne a une puissance démographique qui est parmi les plus fortes du monde: elle est la meilleure garantie de notre peuplement et de la présence française. Il faut la protéger:
Extension générale du système des allocations familiales à toutes les familles.
Défense de la juste rémunération du Père de famille.
Maintien du pouvoir d’achat du revenu familial.

PROGRAMME SCOLAIRE:
Assurer le droit à l’instruction qui est un droit imprescriptible de l’enfant.
Multiplication des écoles de l’Intérieur, développement des internats scolaires ou autres moyens pratiques de faciliter la fréquentation des écoles pour les enfants des colons même les plus éloignés des Centres.
Accroissement du personnel enseignant.
Aide des Pouvoirs Publics à tous les établissements d’enseignement sans distinction.

POUR LA JEUNESSE:
Orientation et Emploi de la Jeunesse Calédonienne.
Accession des jeunes Calédoniens aux postes de direction par la formation technique.
Ouverture plus large des emplois administratifs aux enfants du pays.
Maintien des jeunes à la terre par l’amélioration des conditions d’existence dans l’Intérieur.
Développement très large des installations sportives sur tout le territoire.

PROGRAMME SOCIAL:
Amélioration des conditions sociales de la population pour un niveau de vie plus élevé.
Application d’un Code du travail conforme aux aspirations et aux besoins des employés et ouvriers, à la situation locale et à la justice sociale.
Révision et amélioration de la réglementation des accidents du travail, de l’invalidité et de la retraite.
Etablissement d’un indice du coût de la vie “Sincère”.
A fonction égale, traitement égal pour les fonctionnaires locaux et pour les fonctionnaires métropolitains, (indemnités d’arrivée pour ces derniers).
Politique du logement, création d’habitation à bon marché. Crédit foncier et immobilier.
Equipement des municipalités.

PROGRAMME INDIGENE:
Maintien du statut des réserves indigènes.
Reconnaissance officiel du Conseil des Anciens.
Etablissement d’un droit coutumier indigène.
Développement de l’enseignement technique et professionnel.
Maintien des mesures de Protection de la Santé contre l’Alcoolisme.
Organisation de la Production; organismes ccopératifs de Prévoyance.
Liberté pour les évolués de renoncer à leur statut personnel.

PROGRAMME AGRICOLE:
Organisation efficace de l’Agriculture Calédonienne.
Utilisation rationnelle du matériel Coopératif.
Orientation des productions agricoles pour éviter la surabondance et la chute des cours. Organisation de l’écoulement sur les marchés locaux et extérieurs.
Mise en fonctionnement de la Caisse de Solidarité Agricole contre les calamités frappant les colons.
Développement du Tourisme. Crédit hôtelier.

PROGRAMME ECONOMIQUE ET FINANCIER.
Maintien du 5,5. Défense urgente et acharnée du Franc Pacifique menacé, en vue d’éviter la catastrophe et ses terribles conséquences.
Action immédiate sur le plan gouvernemental et parlementaire pour le salut de notre ECONOMIE.
Accroissement intensif des productions minières, anciennes ou nouvelles, sources principales de devises.
La NOUVELLE-CALEDONIE, 2ème producteur du monde de Nickel et de Chrome doit pouvoir maintenir, grâce à ses mines, une monnaie forte et équilibrer le budget public et la balance commerciale de 50.000 habitants.
Poursuite du plan d’équipement du F.I.D.E.S.
A l’écart de toutes luttes de partis, de toutes rivalités de personnes ou d’intérêts privés, entièrement libre et indépendant, je me consacrerai uniquement, en technicien et non en politicien, à la solution de nos grands problèmes et à la sauvegarde de l’Intérêt commun du pays.
Demain le danger communiste peut devenir une réalité. Il faut le combattre dès maintenant en lui faisant face sur son propre terrain.
De votre choix dépend l’avenir de notre pays. Son destin est entre les mains de chaque électeur.
La gravité de la situation exoge de l’énergie et de la compétence.
Conscient des lourdes responsabilités qui m’incomberont, je me présente à vos suffrages et je fais appel à votre confiance.
Avec votre appui et votre collaboration constante, en étroit contact avec vous, je travaillerai au salut de nos Iles, au rayonnement de l’Union Française, à la Grandeur de la FRANCE.
Vive la NOUVELLE-CALEDONIE.
Vive les NOUVELLES-HEBRIDES.
Vive la FRANCE.
Maurice LENORMAND
Ingénieur-Agricole-Diplômé de la Faculté de Pharmacie-Diplomé de l’Institut d’Ethnologie-Lauréat de l’Ecole des Langues Orientales-Père de cinq enfants-Ancien combattant 39-45- Candidat INDEPENDANT

1952: Le combat pour le collège électoral unique.
(partie rédigée à partir de la thèse d’histoire d’Ismet Kurtovitch)

Suite à l’élection de Lenormand à la députation se pose désormais et avec de plus en plus d’acuité, la question de la nécessité d’associer les autochtones à la gestion des affaires calédoniennes. Les Européens, qu’une stricte application du suffrage universel condamne à la minorité politique doivent trouver un nouveau régime électoral leur permettant de partager le pouvoir avec les Mélanésiens. Cette nouvelle donne entraîne au plan local et national, d’innombrables pourparlers, propositions de loi, discussions, contre-propositions entre les partisans du double collège et ceux du collège unique durant près de deux longues années.
Le 17 septembre 1952, dans les locaux de l’actuel haut-commissariat est organisée une réunion avec d’un côté les partisans du double collège: les 3 députés membres de la mission parlementaire, le sénateur Lafleur, Bonneaud, le président du Conseil général, les membres du bureau du comité d’action pour le double collège et de l’autre les opposants au double collège: le député Lenormand et les membres des bureaux de l’AICLF et de l’UICALO. A la suite d’une conversation assez longue avec Monseigneur Bresson, Lenormand accepte le projet gouvernemental qui maintient la circonscription des districts de la côte Est. (double collège déguisé) Dans l’après-midi, le président de la mission parlementaire arrache l’accord du comité d’action puis entame les négociations avec les représentants mélanésiens en compagnie de Lenormand à qui il demande un geste de conciliation en acceptant sur la côte Est, la fameuse circonscriptiuon des districts. Après quoi, la délégation mélanésienne se retire et délibère en dehors de la présence d’Européens. Les présidents des deux associations, Pidjot et Bouillant font part de leur décision prise à l’unanimité, sauf Vincent Bouquet qui refuse le compromis, des 20 personnes présentes d’adopter la position de conciliation et d’accepter le projet gouvernemental y compris la circonscription des districts de la côte Est. A ce moment précis des négociations, les Mélanésiens se retrouvent seuls contre tous à défendre le collège unique. Tous les autres négociateurs se sont mis d’accord pour que subsiste sur la côte Est - là où les autochtones sont les plus nombreux - le double collège. D’autre part, les concessions de la partie européenne sont réelles et ce, d’autant plus que Maurice Lenormand prépare, sur la côte Ouest, la création d’une liste commune de candidats associant, derrière Bergès, les petits et moyens colons européens et les délégués des deux groupements mélanésiens. A Nouméa, également, une liste d’union conduite par le député est en préparation. De là, certainement, l’accord de l’UICALO et de l’AICLF.
L’accord est dans l’ensemble accepté par les élites mélanésiennes lesquelles travaillent sur ce dossier depuis au moins 1947. En outre, elles obtiennent que l’instauration du suffrage universel soit explicitement prévue par la loi. Seul Bouquet exprime publiquement sa désapprobation. Il dénonce “la trompeuse égalité et l’inexistante fraternité” puisque, écrit-il, les indigènes de la côte Est sont considérés à part au plan électoral.
Après débat en séance publique à l’Assemblée nationale, le 19 novembre 1952 et le retour favorable de la navette du Sénat 8 jours plus tard, l’ensemble du projet de loi est adopté à une écrasante majorité. Le 15 décembre 1952, la loi est promulguée en Nouvelle-Calédonie et les élections sont fixées au 8 février 1953.

1953: Le succès des premières listes d’Union Calédonienne.

La naissance de l’U.C. ne s’est pas faite en un jour mais sur une période de quatre années entre 1953 et 1956 marquée chacune par des apports progressifs et modernes en vue de la consolidation de l’édifice à venir.
En février 1953, le mandat des conseillers généraux arrivent définitivement à expiration suite à son prolongement décidé en 1952, dû aux discussions relatives au collège électoral en particulier et au statut calédonien en général à l’Assemblé nationale et au Sénat. Maurice Lenormand, député de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et des ressortissants français des Nouvelles-Hébrides s’associe à des personnalités calédoniennes (Pierre Bergès, Georges Newland, Louis Eschembrenner), en vue des prochaines élections. Les listes d’union calédonienne créées pour l’occasion, remportent tous les sièges à pourvoir dans 3 des 5 circonscriptions électorales du territoire s’assurant une majorité confortable avec 15 sièges sur 25. Cette élection permet pour la première fois, depuis la création du Conseil général en 1885, l’entrée dans la plus haute institution calédonienne de l’époque, de 9 élus mélanésiens tous placés sous la bannière de l’U.C. et issus pour la plupart des bureaux éxecutifs des associations religieuses (AICLF protestante et UICALO catholique) créées en 1946-47. Pour mémoire, les noms de ces élus méritent d’être cités: Roch Pidjot, petit chef de la Conception, agriculteur, président de l’UICALO; Kowi Bouillant, grand chef des Poyes à Touho, président de l’AICLF; Doui Matayo Wetta, infirmier à Ponérihouen; Mathéo Aripoindi, Raphaël Bouanaoué de Bélep, Wendo Elia Thidjine, pasteur à Poum, Luther Enoka de la tribu de Tuo à Maré, Jemes Haeweng de la tribu de Dozip à Lifou et Michel Kauma, petit chef de la tribu de Banoutr, Ouvéa. Comme l’a écrit Pierre-Hubert Jeanson dans son journal “Le Calédonien”, cet évènement est “une révolution pacifique dans l’histoire politique calédonienne”. Rappelons par ailleurs, que le décret du 25 octobre 1946, promulgué localement le 18 octobre 1947 avait déjà permis, et ce pour la toute première fois, l’élection de cinq autochtones comme membres de commissions municipales de l’Intérieur.
Au cours des années suivantes sont créés: “L’Avenir calédonien”, le journal de liaison et d’information du Mouvement, dont le premier numéro paraît le 11 décembre 1954, ronéotypé et distribué sur tout le territoire calédonien; des signes et des éléments de reconnaissance et d’adhésion comme l’emblème stylisé du cagou établi par Michel Lablais, peintre et dessinateur né en 1925 à Houilles dans les Yvelines et rencontré par Maurice Lenormand aux Nouvelles-Hébrides; la fameuse devise du parti: “Deux couleurs mais un seul peuple”, qui perdra peu à peu sa conjonction de coordination; le drapeau (une croix verte sur fond orange) et l’adoption de la croix verte des pharmaciens comme signe distinctif sur le matériel traditionnel de la propagande électorale (affiche, bulletin de vote, profession de foi, tract). L’Union Calédonienne se donne donc les moyens d’être connue et surtout reconnue.
Parallèlement, l’U.C. débute une longue série de succès électoraux. Le 10 octobre 1953, Pierre Bergès, président du Conseil général devient membre de l’Assemblée de l’Union française. Le 10 octobre 1954, avec 7195 voix, l’U.C. remporte 15 des 29 commissions municipales, ce qui lui ouvre logiquement les portes du Sénat où Armand Ohlen est élu le 19 juin 1955 avant que Maurice Lenormand ne soit réélu député le 8 janvier 1956. L’U.C. contrôle alors l’échelon local et territorial et est activement représenté dans les institutions nationales représentatives.

1956: Le congrès constitutif du Mouvement d’Union Calédonienne.

Les 12 et 13 mai 1956, à Nouméa, près de 250 personnes assistent et participent au premier congrès de l’Union Calédonienne, parmi lesquels 125 délégués de 35 délégations régionales représentants les sections de base de Nouméa, de l’Intérieur et des Îles en formation, associés aux élus des commissions municipales issues des élections d’octobre 1954 et aux 9 conseillers généraux siégeant depuis février 1953, aux côtés de Maurice Lenormand, le député de la Nouvelle-Calédonie et des Nouvelles-Hébrides, élu en 1951, de Louis Eschembrenner, conseiller de l’Union française depuis octobre 1953 et Armand Ohlen, conseiller de la République depuis juin 1955.
Ils sont simples militants de base ou élus politiques accompagnés de leur famille. Ils sont autochtones mélanésiens ou représentant du petit colonat européen des côtes occidentales ou orientales de la Grande Terre. Ils sont planteurs, agriculteurs ou éleveurs. Ils sont ruraux ou citadins. Ils ont tous connus le régime de l’Indigénat, certains acteurs, d’autres bénéficiaires. La très grande majorité des participants sont natifs de l’archipel alors que d’autres ont été accueillis anciennement ou se sont installés récemment. Ils sont le cœur et l’âme de la Nouvelle-Calédonie. Ils en sont le corps social et en forment l’esprit. Un esprit où s’entremèle les spoliations foncières, les réquisitions au travail forcé, l’impôt de capitation, l’odeur de la poudre dans les tranchées de Verdun où le souvenir des ordres nazis que l’on entend au couchant dans la cuvette de Bir Hakeim au moment de la percée salvatrice. Un esprit où se superpose les échafaudages des doctrines religieuses catholique et protestante contre les murs épais de l’organisation coutumière ancestrale. Un esprit où se cotoie l’enduit des couches successives de peuplement original sur la charpente du peuple originel et colonisé et ce quelque soit les briques apportées à l’édifice: orangée et estampillée “AP” pour la colonisation pénale; en torchis pour la case isolée du colon Feillet, en agglos de corail concassé pour les demeures du patriciat nouméen. Un esprit où s’entrecroise les paroles ouatées du vieux chef prononcées sous le dôme de fumée de bois à l’intérieur de la case-palabre et les mots modernisés de consensus, dialogue, partage et intérêt commun.
Ces corps et cet esprit devaient à un moment ou à un autre se rencontrer, se parler, se regarder droit dans les yeux et enfin se serrer la main. C’est cela aussi le premier congrès du Mouvement d’Union Calédonienne. Le point d’orgue de la rencontre de ceux qui ne s’étaient jamais réellement rencontrés. Le point de convergence de l’héritage et de ses héritiers. La poignée de mains entre les fils et filles de colonisés et de colons. C’est cette alchimie qui fait et fera la force de l’Union Calédonienne. Un mouvement populaire à l’image de la Nouvelle-Calédonie et de ses habitants. Un mouvement fédérateur qui aurait pu ajouter aux deux-couleurs-mais-un-seul-peuple de sa devise éternelle l’union-de-deux-destins-particuliers-dans-un-avenir-commun à l’image du discours du respecté Evenor de Greslan au congrès de Tiaoué à Koné en 1963. Evenor de Greslan qui savait attiser la flamme de la langue française avec autant de finesse et de force confondues que les commandes de son Caterpillar sur les pistes minières de Thio et qui déclarait alors: “Pour être Calédonien, nous Calédoniens de souche européenne, nous n’avons pas à faire un reniement, mais à faire un renoncement: nous devons renoncer à nous comporter comme les héritiers du colonialisme. Nous devons renoncer aux vieilles habitudes de la période coloniale, aux avantages et privilèges de la position de colonisateur, nous devons nous refuser à être nous-même, les vestiges du colonialisme en terre calédonienne!”
La réunion a lieu sur la propriété du sénateur Armand Ohlen à la Vallée des colons, un quartier encore périphérique de la ville de Nouméa. Après le discours d’ouverture et les mots de bienvenue, la parole est donnée à Maurice Lenormand, le commissaire-général du Mouvement qui commence alors une lecture vigoureuse de son rapport d’activité générale. Il y reprend les grandes étapes de l’évolution politique de la Nouvelle-Calédonie (la surprise de l’élection de 1951, la bataille pour le collège unique, l’élection du nouveau Conseil général du 8 février 1953, l’alliance avec les syndicats) en n’omettant pas de décocher quelques flèches acérées à destination de “la vilénie et de l’hystérie calomniatrice de la presse des trusts”, “les agents du haut-commerce local, l’oligarchie économique pour qui la Nouvelle-Calédonie devient littéralement un fief privé soumis à une véritable oppression dictatoriale.” Le député de la Nouvelle-Calédonie énonce aussi les fondements de l’action politique et les objectifs du Mouvement: “l’union calédonienne que nous avons fondée n’est donc pas et ne peut pas être un parti, mais seulement l’avant-garde consciente d’un mouvement en marche, celui du jeune peuple calédonien en formation, uni dans le travail et dans l’action.” Plus loin, il poursuit: “la volonté d’une vie commune est le ciment unificateur nécessaire pour parvenir à l’unité du peuple calédonien qui est le fondement indispensable de la nouvelle collectivité calédonienne.” Enfin, les projets ne manquent pas: “mettre en valeur le territoire, donner aux intérêts du territoire et de sa population, la primauté dans l’exploitation de ses ressources minières comme facteur de la prospérité et du développement de l’île” ou encore “lutter contre les monopoles, agrandir les réserves autochtones, organiser les marchés agricoles, doter le territoire d’un système complet et cohérent de Sécurité sociale, etc.” A la fin de sa longue intervention, Maurice Lenormand traîte du régulier et singulier sujet du statut politique calédonien et annonce l’adoption prochaine de la loi-cadre Defferre relative aux réformes à mettre en œuvre et aux mesures propres à prendre pour assurer l’évolution des territoires d’outre-mer. Il conclue enfin par une envolée lyrique qu’autorise sans doute l’intensité du moment et la densité de l’assistance en liant logiquement le concept idéologique et le mouvement politique de “l’union calédonienne” dans l’édification, “avec l’aide de la France, d’un régime de justice, de liberté et de prospérité.”
Les travaux se poursuivent l’après-midi du samedi 12 mai et de la matinée du dimanche 13 après les cérémonies religieuses respectives. Le discours de clotûre revient à Roch Pidjot, président du Mouvement et petit-chef de la tribu de La Conception qui déclare: “Par sa représentativité et par les travaux qu’il vient de terminer, ce premier congrès de l’Union Calédonienne est un magnifique succès, une preuve irréfutable de la force et de la cohésion de notre Mouvement, une affirmation solennelle de notre volonté de poursuivre le bon combat sans défaillance pour le salut et le bien-être du peuple calédonien.”
C’est par cette parole qu’est déclaré clos, le congrès constitutif du Mouvement d’Union Calédonienne dont la gestation durait depuis la création des listes éponymes pour le renouvellement du Conseil général du 8 février 1953 et qui avait vu pour la première fois depuis l885, année de création de l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, l’élection de 9 autochtones. Cette lente gestation s’est accompagnée durant près de 40 mois de multiples victoires électorales au niveau national et local mais l’instant déterminant est un aparté parisien, une réunion informelle dans les couloirs de l’Assemblée nationale entre Maurice Lenormand et quelques personnalités du groupe des indépendants d’outre-mer comme l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le camerounais Paul Aujoulat, le sénégalais Léopold Sédar Senghor qui encouragent leur collègue et membre, a créé rapidement ce vaste mouvement populaire et fédérateur qu’il manque à la Nouvelle-Calédonie et qui serait apte à incarner les réformes et les mesures prévues par la loi-cadre Defferre en discussion. Il ne suffisait alors qu’un acte constitutif pour officialiser la naissance du Mouvement politique à la croix verte dont le drapeau fut hissé ce jour là aux côtés de l’emblème national...
Les statuts de l’U.C., son réglement intérieur et l’organigramme de ses premiers cadres sont établis consécutivement à son premier congrès. L’installation des sections locales a été réalisée sur une longue période de 6 ans (1953-1958), laissant ainsi le temps, à son fondateur accompagné de son équipe dirigeante, de rendre visite à toutes les tribus de Nouvelle-Calédonie afin d’y installer une section locale du Mouvement. Interrogé sur cette étape fondamentale, M. Lenormand annonce franchement: “Il fut décidé de créer des sections de base partout. Il y avait 350 tribus, il devait y avoir 350 sections de base”, avant d’affirmer qu’une seule tribu lui a “échappé” à cause de son isolement: Ouayagette, dans la haute vallée de la Hienghène, à plus de trois heures à cheval de la route côtière. C’est donc un maillage très serré qui est mis en place pour rassembler la population mélanésienne et européenne et ses milliers d’électeurs potentiels qui allaient ainsi assurer à l’U.C. une prépondérance électorale pendant près de vingt-cinq ans. Les tribus ne sont pas les seules à être visitées et les villages européens des deux côtes de la Grande-Terre auront également leur section locale, tout comme certains quartiers de Nouméa.
En 1956, le Mouvement d’Union Calédonienne s’affirme déjà comme une grosse structure d’où la nécessité, de la régir par des formes modernes d’organisation et de fonctionnement. Maurice Lenormand adapte localement l’esprit du système organisationnel du Parti communiste français. L’influence et l’imitation s’arrêtent là. L’intérêt avant tout est d’établir un réseau, de lancer sur l’ensemble du territoire, un filet à petites mailles qui ne laisse échapper aucun espace géographique, tribu, district coutumier, village, quartier ou chef-lieu, afin de ne laisser aucun néo-calédonien en marge des idées politiques de cette structure qui se veut avant tout, un mouvement de masse.
Les statuts du Mouvement sont présentés et approuvés lors du premier congrès de 1956. Ils se composent de 21 articles répartis en six parties concernant toutes les facettes de l’organisation du Mouvement. L’article 2 présente la finalité du Mouvement en ces termes: “Le Mouvement a pour but la poursuite de l’action politique, économique, sociale et culturelle [...] en vue d’atteindre comme objectif fondamentaux: le développement économique et le progrès social de la Nouvelle-Calédonie au profit du plus grand nombre de ses habitants; la primauté des intérêts de la Nouvelle-Calédonie dans l’utilisation des ressources calédoniennes; des institutions territoriales, et un statut organique permettant à la Nouvelle-Calédonie de garantir effectivement sa primauté, et d’exercer réellement la liberté constitutionnelle de s’administrer elle-même et de gérer démocratiquement ses propres affaires; une République française juste et fraternelle, respectueuse des libertés et des franchises de membres qui la composent et soucieuse de défendre les principes démocratiques et la cause de la paix dans le monde; la constitution d’une Communauté française fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race et de religion et la solidarité des nations et des peuples qui la composent, la mise en commun de leurs ressources, l’assistance mutuelle et la coordination de leurs efforts, pour développer leur culture, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité; le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la Communauté française; le mouvement vise également à faire assurer le respect des droits et des devoirs du citoyen et l’égal accès aux fonctions publiques et aux responsabilités [...], en faisant œuvre d’éducation civique et de formation politique”. Les objectifs de l’U.C. ont indéniablement un contenu généreux et progressiste auxquels adhèrent de plus en plus de Calédoniens.
Le chapitre sur l’organisation et l’administration du Mouvement précise les relations entre les principales instances pyramidales de la structure politique notamment, le congrès territorial, le comité directeur, la commission exécutive et les commissions périphériques: administrative et financière, disciplinaire ou de vigilance. Ainsi s’organise le cadre strictement statutaire du Mouvement auquel s’ajoute le réglement intérieur qui régit, dans le moindre détail, son fonctionnement.
Le réglement intérieur est un document dense et très détaillé composé de 4 chapitres regroupant 62 articles représentant le cadre de référence du Mouvement. Il y est rappelé l’importance et le rôle de la section de base, seule porte d’entrée dans l’association et pourvue de pouvoirs étendus quant à l’adhésion de nouveaux membres, notamment un auto-contrôle par cooptation qui doit garantir la qualité du groupe et surtout sa cohésion, élément indispensable et déterminant à toute action politique sur le long terme. Les droits et les devoirs des membres y sont précisés ainsi que les mesures et sanctions coercitives à l’encontre de tout membre qui enfreindrait ou ne respecterait pas la “discipline du Mouvement, l’application des consignes, l’exécution des décisions, la participation régulière et les prises de positions du Mouvement”.
En 1958, le Mouvement d’Union Calédonienne totalise 603 responsables dans 297 sections de bases répartis dans 58 districts coutumiers et 30 collectivités municipales. Les sections comptent plusieurs dizaines de membres chacune. L’U.C. regroupe alors environ 6000 membres, ce qui en fait la première force politique calédonienne. L’analyse de l’implantation géographique et de la composition ethnique et sociale des sections de bases démontre le caractère territorial, multiculturel et fédérateur de l’organisation politique. L’U.C. existe alors bel et bien et se renforce à la faveur des scrutins municipaux, territoriaux et nationaux, lui laissant une marge de manœuvre confortable dans la gestion des affaires publiques et dans l’accomplissement de son œuvre politique.


Texte rédigé sous l’entière responsabilité de son auteur
Copyright. Olivier Houdan. Septembre 2006.

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