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Calédonitude et globalisation.

 

Notre archipel, isolé dans l'immensité océanique à l'écart des grandes voies de communications s'est longtemps cru à l'abri des convulsions produites par les grands évènements historiques, les profonds bouleversements économiques ou encore les enjeux politiques et/ou stratégiques qui n'ont pas manqués, finalement, de s'y manifester aussi, par prolongement, au cours des dernières décennies du siècle précédent. L'appréhension dépassée, les vibrations locales des lointains soubresauts continentaux furent globalement une grande illusion tant les considérations à l'origine de toutes progressions humaines ne peuvent éternellement se laisser enfermer dans des univers réductibles à un espace compris comme définitivement limité par les frontières géographiques les plus précises que la Nature nous aient imposées: la barrière de corail puis le glacis maritime. Sans compter les contingences humaines et la préservation des omnipotences oligarchiques financières, industrielles ou économiques dont l'exercice d'un mandat électif n'est qu'un instrument de la conservation et de la “perduration”. L' Histoire nous ayant laissé en héritage un triptyque maintes fois constaté: plus l'espace politique est clairement délimité, plus sa gestion est motivée par la mise en œuvre pratique d'un modèle pragmatique propre et plus son identité est avérée. Ainsi l'Île est pour Hobbes, Paoli ou Toussaint-Louverture, un territoire idéal pour la mise en pratique d'un modèle de société débarrassé des contingences imposées par l'extérieur-étranger: dépendance exacerbée, exemples imposés, domination maladive chronique, dilution démographique et noyade démocratique orchestrées, sans toutefois se résoudre à les éliminer toutes, puisque le complexe de l'insulaire y trouve un terreau des plus fertiles qui alimentent à son tour ses propres contradictions mais aussi son particularisme: en effet, c'est en s'opposant que l'on se définit! Que reste t-il aujourd'hui de la calédonitude? Peu de choses. Et de moins en moins. Nous avons résisté tant bien que mal (mais jusqu’à quand?) aux volontés de centralisation, aux délires d'intégration, aux opérations d'acculturation et aux tentatives d'assimilation. Mais, il est un péril encore plus grave pour l'expression et l'existence même de notre identité particulière, celui de l'appétit démesuré des transnationales. Leur taille planétaire, leur capacité financière, leur stratégie mercatique, leur pouvoir égal voire supérieur à celui des Etats ou territoires autonomes (voir tableau) font craindre pour les îles et leur population, une menace qui s'apparente de plus en plus à une promesse: combien de temps pourrons nous encore exprimer sereinement notre singulier pluriel? Que restera t-il de notre “localisation” face à la “globalisation”? Certes, notre prise de conscience d'appartenir au système-monde est ancienne mais c'est l'accélération et l'intensité de son surgissement dans notre système-insulaire qui nous rend si inquiets face aux transformations en marche et aux mutations à venir. Comment, en effet, aurait-on pu y échapper? Notre univers insulaire protecteur-salvateur ne nous a pas épargné, ni du mot, ni des maux consécutifs à celui de globalisation. Malgré cela, doit-on accepter ce totalitarisme économique sans sourciller? Doit-on céder aux sirènes de la maïeutique médiatique des délégations successives d'industriels et d'élus béats d'optimisme? Comment éviter que le diktat des actionnaires des transnationales nous soit imposé si nous ne leur imposons pas notre loi dans notre propre pays, c'est-a-dire celle émanant de la représentation calédonienne via le congrès puis le gouvernement? La colonisation qui fût chronologiquement la première mondialisation a permis la constitution de quelques fortunes privées colossales et un enrichissement conséquent des métropoles européennes, grâce en partie à l'exploitation sauvage concertée et systématique de vastes zones de non-droit économique, commercial, social ou environnemental recouvrant en partie ou intégralement les territoires conquis ou les gisements de ressources naturelles potentiellement intéressants. Dans l'actuel processus local de décolonisation à géométrie variable, ce sont désormais les sociétés multinationales qui occupent ce créneau dans notre pays. Il est rageant de constater que nos élus politiques hésitent à engager une vaste création de droit qui colmaterait les brèches dans lesquelles s'engouffrent encore avec délectation, les puissances d'argent dont le seul souci est d'accumuler encore plus d'argent. De faire encore plus de profits. Prenons un exemple concrêt. Au hasard. On glose sur la nature, le degré, l'incidence, la densité, la composition, la température des effluents rejetés par le grand tuyau prévu dans le cadre de l'usine hydro-métallurgique fantôme de Goro Nickel. Pourquoi, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie ne vote t-il pas une loi de pays, comme la loi organique le lui permet, pour interdire tous rejets industriels dans l'environnement naturel sans traitement préalable? Pourquoi? Est-ce à croire que l'absence voulue de dispositif juridique contraignant à l'échelle de notre pays, avantage et privilégie l'industriel, le spéculateur immobilier, le lotisseur, le bétonneur, le pollueur, le destructeur et en fin de compte, par ses retombées en cascades, l'agent immobilier, le notaire, le manutentionnaire, l'importateur, aux dépens de la population et du pays. Un gouvernement quel qu'il soit n'est-il pas l'émanation du peuple qu'il est censé représenter? Le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n'est-il pas au service du peuple calédonien qu'il doit aider et défendre face aux multiples défis contemporains? C'est de sa responsabilité d'engager la rédaction objective d'un Droit “défenseur et protecteur”, seul rempart objectif contre l'anéantissement progressif et programmé de la personnalité calédonienne dans le cadre d'une globalisation débridée. Dans le contexte présent, ne rien faire en la matière, c'est délibérément inviter les loups entrés dans la bergerie à s'y installer confortablement et durablement. Alors, à quand une loi sur l'environnement; une loi sur la préservation du littoral; un impôt sur les plus-value immobilières; un impôt sur la fortune; des mesures fiscales généralisées pour les particuliers s'équipant pour utiliser les énergies renouvelables; un contrôle efficace contre l'évasion fiscale; une taxe sur le recyclage; l'extension au niveau local des normes européennes en matière de protection de l'environnement; une loi sur l'obligation de valoriser les déchets ménagers; etc. Le principe de la spécificité législative nous a longtemps permis de garder le meilleur de la Loi générale pour le profit de quelques uns. Le temps n'est-il pas venu de poursuivre l'application de ce principe, accolé à celui de précaution, mais désormais pour le bien-être du plus grand nombre? Et surtout de se donner les moyens de leur application afin de faire de notre pays, un État de droit, également…

Olivier Houdan. Texte publié dans l'hebdomadaire "Les Infos" du 16 février 2007.

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