A l’occasion des trente ans du Palika -Parti de Libération Kanak-, ce texte analyse ses choix stratégiques face à des conditions économiques, historiques et politiques qui entravent encore aujourd’hui la construction de la citoyenneté inscrite dans l’Accord de Nouméa.
C’est une contribution militante, au moyen de la critique et de l’autocritique, à un débat constructif sur la participation d’un parti politique indigène océanien, aux côtés des opprimés de la planète, au combat contre l’exploitation de l’homme par l’homme.
Le contexte de ce débat est celui de la période transitoire actuelle de la décolonisation du peuple kanak et de l’émancipation citoyenne, régie par le partage des compétences, vers celui de l’exercice de la pleine souveraineté, à acter par référendum, au terme de l’Accord de Nouméa, signé entre les résistants -du FLNKS- et les tenants du colonialisme et de l’impérialisme du RPCR et de l’État français.
Cette analyse prend en compte les acquis de l’engagement des militants du Palika dans le front unitaire, FI -Front Indépendantiste-, FLNKS -Front de Libération Nationale Kanak Socialiste- et UNI -Union Nationale pour l’Indépendance-, de la lutte de libération nationale du peuple kanak qui a amené, par le terrain et par l’institution, à une transformation sociale en Kanaky, ces dernières années. Elle en dégage les limites dues aux conditions économiques, historiques et politiques de ce combat, et présente, sur le chemin de la citoyenneté, quelques perspectives qui s’inscrivent à la fois dans la pluralité actuelle des espaces de lutte et dans la solidarité internationale face aux facettes néo-libérale, néocoloniale et transnationale de la mondialisation.
Car, de par sa création et ses premiers objectifs d’ « indépendance kanak », de « retour inconditionnel des terres » et de « reconnaissance de l’identité kanak », le Palika s’inscrit dans la continuité des révoltes kanak contre la colonisation dont les deux grandes insurrections de 1878 et de 1917 ; de par son choix idéologique, à son Vème congrès de Témala en 1980, du socialisme scientifique comme outil d’analyse de la nature du système capitaliste sous sa forme impérialiste, indissociable d’une pratique de lutte politique sur le terrain et dans l’institution, le Palika s’inscrit dans la solidarité internationale des mouvement de libération, des luttes de classe, pour le progrès, l’émancipation des peuples et du genre humain.
I. Les choix stratégiques.
1. Du terrain à l’institution.
Le Palika, créé en mai 1976 à Âwââ (Amoa) – Pwêêdi Wiimîa (Poindimié)-, est issu de quatre groupes politiques de jeunes militants kanak que ces derniers définissent comme « groupes révolutionnaires kanak » : un de la Grande terre, le groupe « 1878 » et trois des îles Loyauté : les groupes « Wayagi » pour Maré, « Ciciqadry » pour Lifou et « Atsaï » pour Iaai-Ouvéa, représentant de fait les Foulards rouges sur chacune des îles Loyauté.
Les cinq années précédant sa fondation sont marquées par la répression policière contre les Foulards rouges après les émeutes du 2 septembre 1969 à Nouméa, l’affaire Naisseline contre le sous-préfet Degrémont aux îles Loyauté en 1972, la manifestation du Groupe 1878 contre le défilé militaire du 24 septembre 1974, le sit-in de solidarité au tribunal lors du procès Poigoune-Bailly le 25 septembre, suivi de l’emprisonnement d’autres militants des Foulards rouges, du Groupe 1878 et de l’UJC -Union des jeunesses Calédoniennes- et de l’Union Pacifiste. L’assassinat du, jeune Kamouda par le policier Blairet, le 27 décembre 1975, donna lieu à d’autres manifestations.
Dans les casernes, il y a par ailleurs des cas d’insubordination, de grève de la faim, de désertion et de prison militaire pour des appelés kanak. On dénonce la circulaire Messmer qui préconise de « faire du blanc », c’est-à-dire organiser une immigration massive contre toute velléité nationaliste indigène.
Dans l’institution politique de l’Assemblée territoriale, les élus kanak se heurtent, lors d’une mission à Paris, au refus de Chirac, alors Premier ministre du président Giscard d’Estaing, de prendre en compte leur projet d’autonomie interne pour les sommer de choisir entre la départementalisation et l’indépendance. A leur retour en juin 1975, ils rejoignent les quatre groupes révolutionnaires kanak dans la CCIK – Comité de Coordination pour l’Indépendance Kanak-, sur le mot d’ordre d’indépendance kanak. Charge au comité d’organiser des tournées d’informations dans les tribus pour expliquer le passage de l’ « autonomie interne » à l’« indépendance kanak », en attendant leurs congrès respectifs qui auront à trancher. Ce que fera l’Union Calédonienne à Azareu en 1977 avec le renouvellement de sa direction politique avec Jean-Marie Tjibaou, Eloi Machoro, Pierre Declercq, Yeiwéné Yeiwéné, François Burck.
Décrétée « Année internationale de la femme » par l’ONU, 1975 voit naître les premières discussions sur la place des femmes dans la lutte de libération nationale, et leurs participations dans les conférences régionales comme celles pour la dénucléarisation du Pacifique, créant ainsi le NFIP -Nuclear Free and Indépendant Pacifique-, qui assurera la coordination entre les mouvements de libération du Pacifique et l’ONU.
Né dans le Groupe 1878 avec celui de la « récupération sans conditions des terres », le projet politique de l’« indépendance kanak » porté par les groupes révolutionnaires kanak se retrouvent dans les partis kanak représentés à l’Assemblée territoriale dont la pratique institutionnelle est jugée trop modérée par les jeunes militants. Ne trouvant pas d’autre moyen organisationnel, dans ces conditions historiques là, de porter plus haut et plus loin leur projet politique, ceux-ci optent pour la préparation, de janvier à mai 1976, d’un premier congrès constitutif du parti politique qui en aura la tâche, par un BPIK -Bureau Provisoire pour l’Indépendance Kanak-, basé à Nouméa, en coordination avec les militants de Âwââ-Amoa.
La direction du parti ou bureau politique, mis en place à ce premier congrès, assisté de commissions, doit veiller à l’application des décisions, confiant aux militants les tâches suivantes : éducation politique des militants, information et conscientisation populaires sur le projet politique d’« indépendance kanak », implantation et organisation du parti à la base, préparation à la participation aux élections municipales et territoriales, relations extérieures, finances.
Le bilan de l’action politique se fait lors de trois AG -assemblées générales- par an, entre chaque congrès annuel qui définit ses objectifs, son idéologie, sa stratégie et son organisation.
Le débat politique et électoral amène à distinguer, au de-là de l’explication programmatique, entre l’indépendance kanak révolutionnaire, portée par le peuple pour le peuple, l’indépendance néo-coloniale, avec des fantoches kanak relayant le pillage des ressources par les multinationales, et l’indépendance dite « à la rhodésienne », avec une minorité blanche raflant ou confisquant le pouvoir aux Kanak.
Sur cette base-là et celle de l’indispensable unité autour du projet politique, impulsé par les états-majors des autres partis indépendantistes, par opportunisme électoral et sur pression de l’extérieur pour peser dans les instances internationales, naît le Front Indépendantistes à la veille des élections de 1979, pour lesquelles une barre à 7% des inscrits est imposée.
Le choix idéologique du socialisme scientifique permet de conforter l’éducation politique des militants sur la nature du système capitaliste et ses formes d’exploitation, en l’adaptant aux réalités du pays autour de la monoproduction du nickel, de la production du café ou celle du coprah. Il clarifie d’abord la position, ensuite le départ de ceux qui ne veulent pas de cette « idéologie importée » « au nom des valeurs kanak ». Contre le front au commet, il engage à la construction du front à la base par l’action concertée et coordonnée avec les dirigeants et militants locaux des autres partis indépendantistes. L’usage et la connaissance des langues kanak ont parfois permis une bonne traduction des concepts du socialisme scientifique dans les réunions avec les anciens.
Le projet politique d’ "indépendance kanak », doublé de la récupération inconditionnelle des terres par l’occupation de la propriété coloniale, oblige à la fois les directions politiques traditionnelles à prendre position et le pouvoir colonial à se démasquer par la répression ou à proposer des solutions visant à la récupération du mouvement nationaliste : «toutes ethnies confondues», « promotion mélanésienne », « canaques français », et autres CACI -Comité d’Action Contre l’Indépendance-, dans la psychose du kanak « raciste », « le couteau entre les dents », prêts à vous « jeter à la mer ».
La réforme foncière Dijoud n’est qu’un début de réponse à une question autrement plus fondamentale du fait de la nature à la fois identitaire et politique du lien à la terre.
L’option idéologique de l’analyse de classes clarifie celle du contenu des programmes scolaires d’une école sélective suivant les critères de classe doublés de critères d’ethnie et de race en situation coloniale. Elle permet par ailleurs de « porter la lutte à tous les niveaux », d’aboutir à l’organisation syndicale des exploités.
En 1983 à Nainville-les-Roches, le Front Indépendantiste reconnaît « les victimes de l’histoire ».
Entre les visites présidentielle -Giscard- et ministérielles, la valse des statuts continue : Stirn, Dijoud, Lemoine. C’est ce dernier, le statut Lemoine, qui conforte en 1984 l’idée fixe à faire avaler que les Kanak sont une minorité et non le peuple indigène colonisé de ce pays.
C’est un statut inacceptable pour le mouvement indépendantiste qui décide de le faire savoir par le « boycott actif » des élections du 18 novembre 1984, à l’exception de quelques élus kanak et de ceux qui les ont suivis pour y participer.
2. Une stratégie globale et unitaire (charte du FLNKS).
Des événements de 1969 et 1974 précédemment cités, à 1984, la première génération de militants actifs du Palika à une expérience de dix ans ou plus de pratique de terrain, de popularisation du projet politique d’ « indépendance kanak » principalement par l’éducation, l’information – « Réveil kanak », « Andi mâ Dhô » -Nouvelles 1878-, « Kanak », la conscientisation, l’organisation du parti et la construction du front à la base.
C’est de cette pratique de terrain-là que parle Eloi Machoro quand il vient avec Simon Naaoutchoué au local du Palika, situé alors à la cité Pierre Lenquette, pour lui demander sa participation au « boycott actif » des élections territoriales du 18 novembre 1984.
Le Palika, en attendant la tenue de son congrès annuel, envoie des responsables en observateurs au congrès constitutif du FLNKS à l’«Océanic», à Ducos, le 24 septembre 1984 ; Et sur le principe du front à la base, ses militants participent au « boycott actif » du 18 novembre 1984, en rupture avec la voie électorale démocratique empruntée jusque-là depuis le droit de vote octroyé aux Kanak, après l’abolition du régime de l’indigénat en 1946.
Toujours selon le principe du front à la base, le Palika propose au congrès du FLNKS de Nakéty, en février 1985, l’organisation en comité de lutte chargés d’animer le débat politique, la vie sociale, économique, culturelle et scolaire, là ou c’est possible. Ce à quoi s’attellent ses militants dans la mise en place des coopératives, des EPK -École Populaire Kanak-, l’organisation de la sécurité ou de l’autosuffisance.
Bien qu’il entre officiellement dans le FLNKS suite aux décisions de son congrès d’Ouroué, à Thio, en 1985, le Palika n’a aucun portefeuille dans le Gouvernement provisoire de Kanaky et sera surtout présent dans les actions du front à la base.
Après la rupture du 18 novembre 1984, l’État colonial envoie ici Edgard Pisani, le délégué du Gouvernement, avec les pleins pouvoirs, et organise la répression du début à la fin de la période dite des « Événements », notamment par l’assassinat d’Eloi Machoro et de Marcel Nonarro, le 12 janvier 1985, la militarisation avec la nomadisation, et le massacre des 19 militants de la grotte de Gossanah le 5 mai 1988, pendant que la « justice coloniale » libère les assassins des militants de Tiendanite, à Hienghène, la tribu de Jean-Marie Tjibaou.
Après la proposition de l’Etat colonial, d’abord, du premier plan Pisani, avec l’indépendance pour 1986, rejeté en bloc par la droite locale, ensuite de la régionalisation Fabius-Pisani, le FLNKS retourne dans l’institution pour la gestion du pouvoir politique décentralisé qui se prolongera par la provincialisation. Ce rééquilibrage politique s’effectue par un éclatement des instances décisionnelles. « Rééquilibrage » et « consensus » sont les maîtres-mots des Accords Matignon-Oudinot dans lesquels le Palika participe surtout à l’élaboration des mesures d’accompagnement, dans le programme des « 400 cadres », pour une décolonisation progressive du pays.
Avec le retour dans l’institution politique, « la lutte à tous les niveaux » se poursuit avec le FLNKS, durant les dix ans des Accords Matignon-Oudinot, dans d’autres espaces : économique avec les projets de développement, associatif avec les femmes, coutumier avec le foncier, dans l’édition, l’information et la communication avec Radio Djido et Edipop, social avec le syndicat et les squatters, culturel et artistique avec le kanéka, le festival des arts du Pacifique ou la saison de préfiguration du centre culturel Tjibaou dont l’inauguration, le 5 mai 1998, se fera en même temps que la signature de l’Accord de Nouméa.
L’Accord de Nouméa où le Palika participera pleinement aux négociations avec le FLNKS en la personne du président Néaoutyine, sur des propositions élaborées en congrès du parti, ouvre en principe la dernière période des acquis de la lutte de libération nationale du peuple kanak, dans un processus de décolonisation et d’émancipation, avec la rétrocession progressive et irréversible des compétences, jusqu’à la tenue du référendum sur les cinq dernières compétences dites régaliennes ou d’État souverain, et qui font l’objet aujourd’hui de la souveraineté partagée entre États : les relations internationales, la monnaie, l’ordre public, la défense et la justice ; l’autre question du référendum, découlant de la première, porte sur le passage de la citoyenneté à la nationalité.
La dernière scission dans le Palika a également lieu en 1998, uniquement sur le constat par le bureau politique et le congrès du parti du départ de militant(e)s, dont les responsables, sans qu’aucun débat n’ait eu lieu dans ses instances, contrairement au cas de la première scission au congrès de Do-Kamo en 1981, après l’option idéologique du socialisme scientifique, un an auparavant, au congrès de Témala.
3. La « neutralité active ».
Cependant, dès la première mandature de l’Accord de Nouméa (1999-2004), le Palika consolide son expérience de la gestion politique institutionnelle par l’ouverture de l’UNI-FLNKS : dans les mairies, les provinces, au Congrès et au Gouvernement. Et bien qu’il la renforce dans la mandature actuelle, principalement dans la Province Nord ou l’UNI-FLNKS est majoritaire, le parti opte pour une stratégie institutionnelle dite de « neutralité active » au Congrès et au Gouvernement face aux deux tendances de la droite locale, le RPCR et l’Avenir ensemble, se revendiquant toutes les deux de l’UMP, donc de la bourgeoisie métropolitaine néo-libérale. Cette stratégie de « neutralité active » s’inscrit dans une longue pratique de négociation politique du Palika en tant que parti d’avant-garde, minoritaire, principalement dans l’institution communale, provinciale et au Congrès. Elle peut être dynamique et constructive si elle oblige à prendre position et à agir dans un contexte encore peut-être encore plus flou où, peu enclins au véritable changement, les tenants du pouvoir achètent la paix sociale en creusant les inégalités ou en développant l’assistanat tout en les faisant miroiter comme des acquis ou des preuves du changement. Et où les intérêts privés des businessmen priment évidemment sur la décolonisation et l’émancipation du peuple kanak et sur la défense des vrais intérêts des citoyens.
II. Acquis, limites, conditions et perspectives.
1. Acquis.
Eu égard au premier mot d’ordre et au projet initial d’«indépendance kanak » du parti, résultant de la lutte dans le front unitaire et à la suite de l’exercice du pouvoir dans la province, l’acquis politique le plus important est le processus de rétrocession progressive et irréversible des compétences lors de cette période transitoire, avant le référendum final sur le transfert des compétences régaliennes et le passage de la citoyenneté à la nationalité. Et la compétence sur les mines et les ressources naturelles n’est pas des moindres non plus puisqu’elle permet aujourd’hui la gestion directe des dossiers miniers, celle du projet Koniambo et de la construction de l’usine du Nord, doublée de la mise en place des SAEM et du plan d’urbanisme de la zone VKP – Vook-Koohnê-Pwëbuu- (Voh-Koné-Pouembout).
A propos du retour inconditionnel des terres, les occupations de la propriété coloniale ont amené à la création de l’Office foncier, puis de l’ADRAF qui ont géré les revendications et les rétrocessions foncières des clans regroupés en GIE ou en GDPL, de même que le statut de « terre coutumière » et les opérations toponymiques.
Cette reprise des noms kanak des lieux s’inscrit aussi dans « la reconnaissance de l’identité kanak » au même titre que l’enseignement des langues kanak ou le soutien aux manifestations et aux établissements culturels.
L’engagement politique et associatif des femmes est renforcé par l’application de la loi paritaire qui les hisse aujourd’hui au deuxième rang de la représentation politique dans les provinces et au Congrès. Et le secteur de la condition féminine leur est dévolu au Gouvernement où est créé l’Observatoire de la Condition Féminine suivant leurs revendications.
2. Limites.
Mais la rupture du 18 novembre 1984, qui a porté le nationalisme kanak à l’ensemble du pays et à l’extérieur, n’a duré que six mois avant le retour dans l’institution politique, relayée, certes, sur le terrain par sa base militante, jusqu’aux accords Matignon-Oudinot de 1988, amènera le changement par le haut. Et au-delà de la question de l’assistanat qui se pose ici, les stratégies d’émulation et de compétition propres aux micro-sociétés insulaires, souvent portées, il est vrai, par des intérêts particuliers ou claniques, poussent également à une dynamique de développement à partir d’autres espaces en mouvement : associatif avec les femmes, culturel avec les artistes, marchés avec les agriculteurs, informatique avec les NTIC (nouvelles techniques de l’information et de la communication) …
Cette dynamique portée par les citoyens eux-mêmes, à partir d’espaces autres que le « parti » ou le « front », peut aussi témoigner d’initiatives prises par l’électorat lui-même.
Mais ces petits espaces ou lieux d’échanges et de vente cachent mal la véritable domination des grandes entreprises et des grandes surfaces sur les artisans, les PME-PMI, les petits commerçants, croulant sous le poids des charges sociales et ayant recours au travail au noir ou à la famille. Il y a aussi les jeunes exclus du système scolaire, qui passe vite du désœuvrement au stress, à la délinquance, à la drogue ou à la violence. Les concours administratifs continuent à exclure les kanak de la fonction publique. Les cadres locaux ne trouvent pas de travail à leur retour de formation. Par ailleurs, la solidarité coutumière ne fonctionnant plus aussi aisément, le fossé s’élargit de plus en plus entre les salariés, les cas sociaux ou les sans travail.
La pauvreté engendrant la promiscuité, l’inceste, le viol et les violences familiales, celle-ci également dues à la consommation de drogue et d’alcool, est un problème quotidien qui démontre qu’au-delà des acquis de la lutte politique, la transformation sociale ne s’est pas effectuée en faveur des plus démunis, mais plutôt pour continuer à enrichir les plus riches, les classes aisées, en l’occurrence, ici, toujours les mêmes « grandes familles », puisque les rapports de classe et de colonisateur à colonisé demeurent du fait de la domination mondiale du système capitaliste sous ses formes néo-libérale, néocoloniale et transnationale d’aujourd’hui.
La « valse des OPA », la « danse des requins » de ces derniers mois autour de nos ressources minières, l’arrivée des deux plus grandes compagnies maritimes mondiales dans le port en sont des exemples flagrants.
Depuis la signature de l’accord de Nouméa, ces exemples nous démontrent encore que la colonisation de ce pays n’est qu’un aspect de la domination mondiale de ce système marchand de monopoles et autres holding financiers représentés par les banques qui utilisent pleinement les vides juridiques de cette période transitoire à leur profit.
Ces sociétés transnationales sont relayées ici par une classe affairiste néo-libérale, héritant de la bourgeoisie tenancière de l’économie de comptoir et bénéficiant toujours des prébendes et autres mesures de défiscalisation de l’«économie assistée », orchestrée par l’État et la CEE pour maintenir les pays du Pacifique dans leur zone d’influence.
C’est ainsi que le deuxième sommet de l’Océanie organisé par le président de la République à Paris recadre le Plan du Pacifique des pays du Forum dans la géopolitique française régionale.
Et force est de constater aussi que, depuis l’application de l’accord de Nouméa, il y a régulièrement des mouvements sociaux tenant plus de la manœuvre politicienne, de l’entreprise de déstabilisation ou du conflit d’intérêts que d’une réelle volonté de changement, qui ont leurs fondements dans l’histoire économique et politique de ce pays depuis la colonisation.
3. Conditions économiques et politiques.
Car, faut-il le rappeler, c’est la spoliation du moyen de production du peuple kanak, la terre, également socle de son identité, renforcée par le pillage, la délimitation territoriale des réserves, le travail forcé, les prestations, l’impôt de capitation, qui a fourni le cadre des fondements de l’économie de comptoir, dominés plus tard par la monoproduction du nickel, devenu minerai stratégique auquel s’adapte le statut politique du territoire avec l’abrogation de la loi-cadre Defferre d’autonomie interne, par les lois Billotte rétrocédant à l’État la compétence minière en 1962 (ndlr : 1969)
A la colonisation de peuplement de la Grande Terre s’est ajoutée l’immigration sous « contrat » de la main-d’œuvre indonésienne pour le métayage, indochinoise sur la mine, océanienne à l’usine, relayée par la circulaire Messmer de 1972 et ses « faiseurs de 5,5 » de la période du « boom » économique du nickel, contre toute velléité nationaliste indigène.
Après la répression coloniale par le massacre, l’exécution capitale, l’exil ou l’emprisonnement, la pacification religieuse a repris du poil de la bête, à l’abolition du régime de l’indigénat, quand des personnalités kanak, dotées pour la première fois du droit de vote, ont commencé à s’inscrire au Parti Communiste Calédonien ; Ainsi, les deux associations catholique et protestante de l’UICALO et de l’AICLF ont fourni l’électorat kanak de l’Union Calédonienne, créée en 1956, sous la devise « Deux couleurs, un seul peuple ».
À la suite du « oui » à la France, au référendum de 1958 -où seuls les deux dirigeants guinéen et polynésien, Sékou Touré et le métua Pouvanaa a Oopa, ont appelé à voter « non » -, et à l’exercice du pouvoir autonomiste de la loi-cadre, naissent les divisions du premier parti politique calédonien. Divisions entre les Européens, d’une part, et entre les kanak, d’autre part, qui provoqueront des scissions telles celle de l’Union Multiraciale, en 1970, et celle entre Européens et Kanak, après la prise de psotion de l’Union Calédonienne pour l’indépendance kanak à son congrès d’Azareu, à Bourail, en 1977. Suivront également les scissions au sein du Palika avec le LKS en 1981 et TEPEE 98 en 1998, de même que celle du FLNKS avec la FCCI et le FDIL qui se sont alliés au RPCR.
La division politique porte des conflits d’intérêts et de pouvoirs ; Et la préparation électorale, du moins dans le cadre institutionnel où nous œuvrons actuellement, fait surgir au grand jour les contradictions internes au mouvement politique. C’est, entre autres, le rôle joué par l’application de la loi paritaire aux provinciales de 2004 où l’obligation à la représentation féminine à égalité sur les listes a dérangé le classement masculin habituel en position d’éligibilité, au point que les divisions ayant provoqué l’exclusion des indépendantistes de la Province Sud alimentent encore leurs querelles d’aujourd’hui.
Et du côté du camp loyaliste, les conflits d’intérêts et de pouvoirs, toujours sous-tendus par le racisme et le paternalisme, sous couvert de démocratie et de mesures sociales, bloquent encore aujourd’hui l’accès des kanak à l’exercice des compétences rétrocédées par les accords Matignon-Oudinot d’abord, puis l’accord de Nouméa, arrachés de haute lutte et après d’âpres négociations par le peuple kanak dans le FLNKS ; Sous sa direction bicéphale, le camp loyaliste se revendique de l’UMP, c’est-à-dire de la bourgeoisie néo-libérale métropolitaine. Celle-là même qui vient d’engendrer le débat sur le port du voile islamique, la controverse sur les « bienfaits » de la colonisation, le « non » à la Constitution européenne, la révolte des banlieues et la mobilisation étudiante contre le CPE. Celle-là même qui, surtout depuis le 11 septembre 2001, s’alignant sur la politique guerrière US s’enlisant en Afghanistan, puis en Irak, et bizarrement sans retrouver UBL, s’empêtre entre ses délits d’initié et ses mesures « antiterroristes ».
Alors qu’au Brésil, au Chili, ou en Bolivie avec Morales, au Mexique avec les zapatistes, ou encore avec le mouvement altermondialiste, émergent aujourd’hui d’autres formes de lutte contre les effets de la mondialisation.
4. Perspectives.
Et c’est bien ici qu’il faut distinguer et soutenir l’initiative citoyenne vers le changement, tout en renforçant, au besoin par l’éducation et l’action politique, l’organisation du « parti » et du « front » unitaire, seule capable jusqu’ici et jusqu’à preuve du contraire, dans les conditions historiques et les luttes que nous avons vécues et portées, de nous mener au processus de décolonisation et d’émancipation dans lequel nous agissons aujourd’hui dans le cadre de l’Accord de Nouméa, vers la pleine souveraineté.
Et c’est parce qu’il y a eu lutte du peuple indigène kanak colonisé et exploité dans son pays, ici en Kanaky, relayée certes, aujourd’hui, à partir d’autres espaces en mouvement, que la transformation sociale doit se poursuivre parce que nous vivons dans un monde de plus en plus éclaté où il est de plus en plus difficile de garder ses repères culturels ou de retrouver la mémoire, son histoire et ses racines.
C’est pourquoi s’inscrire résolument dans le cadre de la décolonisation et de l’émancipation citoyenne de l’Accord de Nouméa, c’est aussi continuer à :
- Lutter contre le racisme et le paternalisme des donneurs de leçons d’hier et d’aujourd’hui parachutés ici à cet effet ;
- Combattre la division entretenue à leurs pertes et profits par les « déçus de la politique » et autres opportunistes, victimes de leurs propres égarements ;
- Préparer les vrais jeunes cadres citoyens du pays en vue de l’exercice de la pleine souveraineté ;
- Sortir des sentiers battus de la représentation politique traditionnelle pour donner pleinement place et responsabilités aux femmes et aux jeunes pour un véritable changement ;
- Transmettre aux femmes et aux hommes leur histoire pour qu’ils ne perdent pas le chemin des luttes, de la solidarité et de la citoyenneté.
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