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Monsieur le vice-président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie,
Monsieur le Président du Sénat coutumier,
Messieurs les membres du Sénat coutumier,
Monsieur le Président de l’aire Ajié-Arho,
Mesdames, Messieurs,

Regrouper à intervalles réguliers des êtres humains autour d’une table pour discuter, dialoguer, débattre des sujets du moment et de leurs enjeux est toujours un signe fort qui prouve la sagesse d’une nation et de son peuple.

Un signe fort lancé à la mémoire de tous ceux et de toutes celles qui vous ont précédés et qui nous ont quittés et dont vous êtes les légataires universels, en pensée, en paroles et en actes.

Un signe fort également adressé au regard du présent, et aux yeux de demain. Par delà les cloisons mentales et culturelles, le pays kanak vous regarde, le pays calédonien vous observe car les paroles et les décisions qui seront prises au cours de ce congrès extraordinaire auront un écho dans toute la Nouvelle-Calédonie.

Aujourd’hui, nous sommes tous rassemblés ici dans cette “maison” d’Azareu située dans le périmètre de la commune de Bourail dont j’ai l’honneur de présider pour un temps, aux destinées. Permettez-moi, donc, de vous souhaiter en mon nom et au nom du conseil municipal, un bonjour fraternel, la bienvenue et tous nos encouragements dans vos travaux.

A la lecture de l’ordre du jour de votre congrès, je suis interpellé par la thématique relative à la cohésion du peuple kanak. Voilà un sujet passionnant à plus d’un titre pour lequel vous m’accorderez quelques réflexions toutes personnelles.

Pour nous, non-kanak, victimes de la colonisation et pour moi, acteur parmi d’autres de la décolonisation, élevé au sein de l’engagement syndical et forgé par l’esprit éternel de l’Union Calédonienne historique, vous excuserez mon audace de vous confier humblement mes craintes mais aussi mes espoirs.

La parole prononcée et partagée dans la case auprès du feu est toujours propice aux confidences. Parmi ces confidences, il en est une qui doit être prononcée haut et fort, de manière claire et nette: l’avenir de notre pays ne peut pas se concevoir durablement sans que le peuple originel, le peuple kanak ne soit debout. Droit. Vivant. Conscient de la force de sa civilisation et de son histoire multi-millénaires. Fier de ses traditions et de ses expressions culturelles et artistiques. Les pieds ancrés dans la terre nourricière des vivants et dans la litière des ancètres. L’esprit habité par la construction, la gestion, l’animation et la direction d’un pays kanak, socle du peuple calédonien en devenir.
A l’intérieur de cette case commune, comment imaginer un instant la faiblesse voire l’absence du poteau central. Ce pilier qui confère au destin commun de la hauteur de vue, de la grandeur d’âme et un volume indéniable.
Mais aujourd’hui, combien de cases à l’abandon?
Combien de cases sans foyer et de foyers sans cases?
Combien de cases perméables à la pluie et ouvertes à tous les vents? Combien de districts sans chefferie?
Combien de clans sans terre et de terre sans clans?
Combien de jeunes marginaux en perdition, exclu de partout et par tous? Combien de jeunes déscolarisés sans repères?
Combien d’adolescents en souffrance réclamant de l’aide qu’ils n’obtiennent pas?
Combien de billons devenus stériles?
Combien de champs en friche?
Combien de tarodières sans eaux?
Combien de filles-mères esseulées?

Vu du dehors, avec les yeux de l’observateur attentif et l’oreille de l’auditeur sensible, le pays kanak semble en crise. Il n’est pas le seul!

Crise de confiance d’une partie de sa jeunesse.
Crise de défiance vis-à-vis de l’Autorité en général et coutumière en particulier.
Crise de croissance démographique sur des terroirs de plus en plus réduits.
Crise de confiance dans la permanence et la pérennité de l’héritage légué.
Crise de subsistance des us et coutumes et de la transmission orale et véritable des lignées et des lignages, des liens du sang et des liens du sens.
Crise de survivance des savoir-être et des savoir-faire.
Crise peut-être aussi du don et du contre-don voire du pardon et du respect.

Et pourtant, le peuple kanak n’a sans doute jamais été aussi nombreux depuis les chocs épidémiologiques des premiers temps des contacts avec les Européens au 18ème siècle et des affres de la colonisation qui s’en suivit;

N’a jamais été aussi bien représentés dans les entreprises privées et les administrations publiques à tous les étages des hiérarchies et des responsabilités, des rôles et des fonctions;

N’a jamais autant fait jeu égal en matière de compétences, de technicité, de performances, d’imagination, de création et d’invention;

N’a jamais été aussi bien présent dans les différents cycles d’études supérieures où des centaines d’entre eux poursuivent des cursus universitaires en Australie, à Fidji, en Nouvelle-Zélande, en France, en Angleterre, au Canada, aux Etats-Unis et ailleurs;

N’a jamais été aussi fourni en chef et en esprit d’entreprises, intégrant le risque capitalistique, répondant aux marchés d’appels d’offres publiques, surfant sur internet, maniant avec aisance l’outil informatique et la comptabilité analytique, maîtrisant avec facilité les nouvelles technologies de l’information et de la communication;

N’a jamais aussi bien occupés les domaines et les espaces sportifs, culturels, artistiques, littéraires ou médiatiques.

Quel peuple de par le monde peut s’enorgueillir d’un tel parcours en un laps de temps si court?

Quel peuple de par le monde a réussi à intégrer autant de connaissances et d’assurance en moins de 150 ans?

Quel peuple? Sinon le peuple kanak.

Alors, ce malaise que nous ressentons doit être mis en relation avec d’autres réalités largement positives et en correspondance avec d’autres problématiques identiques chez d’autres communautés soeurs. Il se pourrait que cette crise, toutes proportions gardées soit une crise d’existence: d’où je viens? Qui suis-je? Où je vais? Des interrogations que se posent légitimement tous les peuples premiers face aux profonds bouleversements de la mondialisation et de sa perception jusque dans les endroits les plus reculés, dans les lieux les plus insoupçonnés de notre pays, via la télévision par satellite.

Mon ami, Jean-Marie Tjibaou, que j’ai cotoyé longuement déclarait à propos de l’identité kanak, qu’elle était devant nous. Pour lui, le retour en arrière est illusoire. La projection dans le futur par une reformulation permanente des valeurs et des principes directeurs de cette identité est le vrai défi à relever.

La réponse à la thématique de départ est quelque part dans cette vision du monde kanak et de la place du kanak dans le monde.

Mesdames, Messieurs, merci de votre attention.

Bon travail. Bon congrès et bon week-end.

Texte prononcé à l'occasion du congrès du Sénat coutumier à la tribu d'Azareu à Bourail, le samedi 27 février 2010.

Discours du maire de Bourail pour l'ouverture du congrès du Sénat coutumier
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